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SCUTENAIRE LOUIS (1905-1987)

Né à Ollignies le 29 juin 1905, Jean Émile Louis Scutenaire doit à cette origine une affirmation d'appartenance à la Picardie dont il ne s'est jamais départi. Il se plaisait à rappeler la singularité souvent oubliée de ces 800 000 Belges qu'il n'estimait pas wallons, et faisait remonter ses origines aux Gallo-Romains qui lui auraient légué un patronyme tiré du vocable Scutenarius (« Celui qui porte le bouclier »). Cette appartenance linguistique favorisa chez lui une netteté et une concision de la langue qui n'est pas le fort de la plupart des écrivains francophones de Belgique. Cela n'est étranger ni à la relation qu'il entretint avec le fondateur et le théoricien du surréalisme belge, Paul Nougé, ni avec la forme qu'il développa dans ses différents écrits.

Village du Hainaut occidental, Ollignies est proche de Lessines, capitale d'un pays de carriers qui s'enorgueillit d'avoir donné naissance au maître de la peinture surréaliste, René Magritte. Un flegme silencieux, si l'on en croit les souvenirs de jeunesse de l'écrivain transposés dans Les Vacances d'un enfant, y caractérise la vie du bourg par opposition à celle des campagnes environnantes. Cette réserve, jointe à l'impertinence libertaire et à une forme de rudesse propre aux carriers, sera le fondement de la méthode du peintre comme de l'écrivain. Celui-ci considérait d'ailleurs Magritte, dont il allait devenir l'ami et le commentateur attitré (René Magritte, 1947 ; Avec Magritte, 1977) comme un poète plus que comme un plasticien.

Rigoureuse, l'existence de Scutenaire paraît se dérouler sans heurt. Elle a su en fait créer les marges nécessaires à sa paresse et à son inventivité, à son goût des décalages quotidiens. Quelques voyages mis à part, Scutenaire ne quitte plus la rue de la Luzerne (à Bruxelles) où s'est installée sa famille et vit discrètement dans la compagnie des amis et des livres. Fils de petits notables, il fréquente les ouvriers plutôt que les gens de sa classe. Durant ses treize ans de passage au prétoire, ce sont surtout les dossiers de délinquants qui le font rêver. Devenu fonctionnaire au ministère belge de l'Intérieur (en 1941), ce qui est peu commun pour un surréaliste, il y passe sans se faire remarquer ni se laisser accabler par les dossiers. Il se contente de signer désormais ses textes du nom de Louis Scutenaire — nom avec lequel il passe à la postérité — et non plus de Jean Scutenaire (ou de Jean-Victor — Victor étant le prénom de son père), comme il le faisait jusqu'alors.

Ce jeu sur les prénoms est sans doute plus qu'une dissimulation fonctionnelle. Il pourrait bien avoir à faire avec le travail que l'œuvre opère sur les niveaux du langage. Dans le récit autobiographique que constitue Les Vacances d'un enfant , on constate en effet que l'initiation du sujet et son autonomisation passent par la confrontation avec les diverses facettes du langage des autres. Cette altérité, c'est d'abord celle du site de Grand-Denis par rapport à la Grande-Saxonie. C'est ensuite, dans le-contexte de Grand-Denis (s'agit-il d'une allusion dyonisiaque ?), celle des domestiques et autres manants par rapport à la pruderie aseptisée du monde dont provient l'enfant. C'est enfin celle des registres verbaux généralement négligés par la littérature que l'enfant s'approprie pour se faire homme.

Car Scutenaire est poète. Il faut donner toute sa place à ce registre de son œuvre (le premier tome de son œuvre poétique, paru en 1987 à Bruxelles, comporte 577 pages) mais aussi dans sa manière. Même un roman comme Les Jours dangereux, les nuits noires (le livre, écrit en 1934, est publié en 1972) témoigne d'abord d'une fascination pour les langages et constitue en fait un vaste collage narratif de fragments[...]

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Écrit par

  • : directeur des Archives et du musée de la Littérature, Bibliothèque royale Albert-Ier, Bruxelles

Classification

Pour citer cet article

Marc QUAGHEBEUR. SCUTENAIRE LOUIS (1905-1987) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SURRÉALISME EN BELGIQUE

    • Écrit par Paul EMOND
    • 1 222 mots

    Rassemblés autour du peintre René Magritte (1898-1967) et de Paul Nougé (1895-1967), les surréalistes bruxellois, où apparaissent notamment Camille Goemans (1900-1960), E. L. T. Mesens (1903-1971), Marcel Lecomte (1900-1966) et le musicien André Souris (1899-1970), développèrent leurs...

Voir aussi