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LE TESTAMENT, François Villon Fiche de lecture

Un « testament » poétique

La fiction testamentaire est encore plus sûrement brouillée par l'insertion, au fil des huitains, de ballades et de rondeaux, formes poétiques très codées, de facture métrique et de thématique très diversifiées, qui donnent aussi au Testament le statut d'une anthologie. Certaines ballades sont des exercices de style très élaborés, qui situent Villon dans la mouvance des Grands Rhétoriqueurs. La plupart d'entre elles, qui forment la partie la mieux connue de l'œuvre, comme les trois ballades sur le motif de l'Ubi sunt (« mais où sont les neiges d'antan ? », interroge la célèbre « Ballade des dames du temps jadis »), universalisent les méditations du poète sur la condition humaine ; ainsi également de la tout aussi célèbre « Ballade des pendus », pièce autonome, qui n'a pas trouvé sa place dans Le Testament. D'autres encore, comme l'émouvante « Ballade pour prier Notre-Dame », donnée à la « pauvre mère » du poète, ou, dans des genres bien différents, la « Ballade de la belle Hëaumière aux filles de joie » ou la « Ballade de la grosse Margot » deviennent autant de legs poétiques – et les seuls legs « réels » – du Testament.

La fascination presque continue qu'a exercée Le Testament, de Clément Marot, son premier « éditeur » en 1532, à sa relecture enthousiaste à l'époque romantique, repose sans doute sur quelques malentendus. Déconcertés – Marot l'était déjà – par les allusions devenues bien vite incompréhensibles des legs, les lecteurs ont le plus souvent privilégié la partie « regrets » de l'œuvre. Ils y ont perçu la confession directe, aussi authentique que sincère, de l'amant trahi, du pauvre rejeté de la société, du mauvais garçon plus ou moins repentant. L'ensemble du poème a fait depuis la fin du xixe siècle l'objet de recherches très érudites qui ont permis d'identifier la plupart des légataires, et de mieux cerner l'ironie féroce de cette satire très personnalisée, sans parvenir pourtant à élucider le caractère exact des relations de Villon avec ses cibles : amis/ ennemis/ maîtresses/ rivaux en amour/ têtes de Turc de l'époque/ mécènes/ protecteurs espérés ?

Plutôt que de croire au montage biographique et de céder à l'illusion référentielle, mieux vaut sans doute se laisser pénétrer par une charge émotive qui a traversé les siècles et se demander comment un poète dont nous ignorons presque tout a su recréer cette illusion, rendre présent, palpable, un cheminement moral et affectif qui semble saisi au plus près de la réalité vécue et en préserver intact le premier jaillissement.

— Emmanuèle BAUMGARTNER

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Écrit par

  • : professeure de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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