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LA CONTREVIE, Philip Roth Fiche de lecture

Philip Roth - crédits : Bob Peterson/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Philip Roth

Dans le Portnoy et son complexe (1969), confession parodique, vaudeville œdipien, Philip Roth, dans le sillage du comédien Lenny Bruce, prince du monologue, avait poussé le one-man-show jusqu'à une limite difficile à dépasser. L'époque était à l'exorbitant et à l'hyperbolique. Dans les rues de New York, le Bread and Puppet Theatre faisait parader ses marionnettes géantes, pareilles à des statues de l'île de Pâques. Dessiné à la même échelle, tel un graffiti obscène, le putz – phallus gonflé – d'Alexandre devint du jour au lendemain plus célèbre que celui de Mellors, le garde-chasse de lady Chatterley. On était à Guignol, et si dans cette commedia dell'arte psychanalytique on voyait de temps en temps le çà anarchique de l'inconscient et le surmoi de l'ordre familial se chamailler comme Polichinelle et Arlequin, le roman était emporté par l'élan de ce qu'on appelait alors « la dialectique de la libération » : un coup de boutoir pour faire une brèche dans tout ce qui enferme et étouffe. Après son monologue drolatique, couronnement de la phase exubérante des années 1960, Philip Roth (1933-2018) fit plusieurs tentatives pour amorcer le tournant du « roman réflexif » qui prend conscience de son propre statut fictionnel. De cette réflexion au miroir naquit son double, le romancier Nathan Zuckerman, que poursuivent comme son ombre, comme un autre lui-même dont il ne parvient plus à se démarquer, son personnage Carnovsky – pseudonyme de Portnoy – et le carnavalesque phallus par qui le scandale est arrivé (L'Écrivain des ombres, 1979 ; Zuckerman délivré, 1981 ; La Leçon d'anatomie, 1983 ; L'Orgie de Prague, 1985).

Nathan Zuckerman et son double

Dans La Contrevie (The Counterlife, 1986), Nathan Zuckerman revient, avec comme double son frère Henry à qui le lient les souvenirs d'une enfance passée à Newark, banlieue de New York où la seconde génération d'immigrants juifs vint s'installer entre les deux guerres. Parmi ces images : le cinéma du samedi après-midi, le stade où jouaient les Newark Bears, la nuit d'Halloween où Henry avait eu une crise de somnambulisme. Ensuite, leurs trajectoires ont divergé : pendant que Nathan le rebelle faisait le « zoulou » et « cannibalisait » les secrets de famille pour les exhiber sur la place publique, Henry, bon fils et bon époux, a fait une respectable carrière de dentiste. Si leur père est mort en 1970 d'une crise cardiaque, nul doute, pour Henry, que c'est la parution de Carnovsky, le roman écrit par Nathan, qui l'a tué. Enfermé dans le scénario de la vie domestique, Henry ne s'en évade que lors de brefs instants de vie érotique clandestine avec son assistante. Et lorsque les bêta-bloquants qu'on lui a prescrits pour ses troubles cardiaques le rendent impuissant, il choisit « le saut de la mort » : il prend le risque d'une opération à cœur ouvert qui doit restaurer sa virilité perdue. Il se réveille mort. Dans le chapitre suivant, il a fait son aliyah, émigration rédemptrice vers Israël. Il cherche sa mémoire parmi les gosses pâlots de Mea Shearim, le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem, et ses racines dans une colonie implantée sur les sites bibliques de la rive ouest où son frère Nathan vient le chercher.

C'est Nathan qui raconte à la première personne le chapitre suivant : il a rencontré une jeune Anglaise, issue de la gentry du Gloucestershire, il veut l'épouser, échapper au scénario de frasques érotiques où il est enfermé, avoir un enfant et une maison, s'établir, s'enraciner. Mais c'est un rêve impossible : les bêta-bloquants qu'on lui a prescrits pour ses troubles cardiaques l'ont rendu lui aussi impuissant. Il choisit de prendre le risque d'une opération. Il se réveille mort. Après les funérailles, Henry trouve le manuscrit d'un roman écrit par Nathan : comme[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Pierre-Yves PÉTILLON. LA CONTREVIE, Philip Roth - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Philip Roth - crédits : Bob Peterson/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Philip Roth

Autres références

  • ROTH PHILIP (1933-2018)

    • Écrit par Pierre-Yves PÉTILLON
    • 1 798 mots
    • 1 média
    La Contrevie (1987), pourtant, approfondit la réflexion sur le double et ses jeux de miroir. Le couple dédoublé est constitué cette fois par deux frères : Nathan et son aîné Henry. Henry est le bon fils, celui qui a tout fait « comme il faut ». L'autre, Nathan, est le « sale gosse » incapable de se...

Voir aussi