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KOLÁŘ JIŘÍ (1914-2002)

Singulier dans son siècle et dans son pays, Jiří Kolář, né le 24 septembre 1914 à Protivín, en Bohême du Sud, est d'origine prolétarienne (père boulanger de campagne, mère lingère). À seize ans, sa découverte, à la bibliothèque municipale de Kladno, des Mots en liberté de Marinetti lui a révélé la subversion des valeurs traditionnelles. Il dut pour survivre se plier à trente-six métiers et ces expériences l'ont « immunisé contre le poison de l'art moderne, contre le snobisme, la superficialité » (Jindrich Chalupecky, numéro spécial d'Opus International sur le surréalisme).

Il a publié son premier livre de poèmes, Extrait de naissance, en 1941, Sept Cantates en 1945, Jours de l'année (journal écrit entre 1946 et 1947) en 1948 (trad. franç. en 1986). Opposé à toutes les formes de pouvoir, bourgeois ou bureaucratique, il est actif, à Prague, et participe à la révolution artistique de son pays. Ses premiers amis : František Halas, Ivan Blatny, Kamil Lhotak, faisaient partie du Groupe 42, lequel réunit jusqu'en 1948 des artistes plasticiens, des poètes et des théoriciens attirés par la modernité. Pendant les années 1950 et 1960, sa place au café Slavia était l'un des rendez-vous intellectuels de Prague. Son œuvre poétique n'a pu se faire connaître que tardivement dans sa totalité dans un pays où la censure idéologique et esthétique était une règle absolue.

Licencié de son emploi en 1950, il écrit alors son plus beau livre : Le Foie de Prométhée (éd. de La Différence, Paris, 1985), mais en 1953, la découverte par la police de son poème La Race de Génor provoque son arrestation. Après sa libération, il décide alors de se dégager de la « prison des mots » par des photomontages et des assemblages. À la poésie littéraire il a donc substitué dès la fin des années 1950 la « poésie évidente » des objets et de leurs images retraitées. Dès lors, son œuvre s'empare de tout ce qui est imprimé pour le réorganiser, le donner à voir autrement. Sa grandeur, sa modernité extrême tiennent à cette conscience aiguë de la réalité de la terreur, des camps d'extermination, à laquelle il a répondu par l'invention de méthodes d'expression radicales au cours des années 1960 : chiasmages (collages de textes divers, morcelés et juxtaposés en tous sens), décalligrammes, décollages, collages à accrocher, collages à trous, chiasmages d'objets-reliefs, froissages, rollages (images redécoupées et redistribuées par bandes parallèles), etc.

Sa première exposition de « travaux non verbaux » eut lieu à Prague, en 1962, dans le club d'un collectif d'artistes. Mais, pour réarticuler la poésie à la vie et au geste, il inventa la « poésie déstatique », Mode d'emploi (Prague, 1969 ; trad. franç. éd. Revue K, 1988), qui consiste en « modes d'emploi » d'actes à accomplir : « À une cage d'oiseau vide / Accroche / un drapeau blanc. » Traducteur, dans sa langue, de Walt Whitman, T. S. Eliot, Carl Sandburg, Edgar Lee Masters, il avait détourné, dès 1957, et sans connaître les théories situationnistes, des textes de maître Sun et d'Épictète (trad. franç. éd. Revue K, 1982). En 1963, il expose pour la première fois à l'étranger, à Londres.

Jiři Kolář a appliqué aux objets de la vie quotidienne les méthodes de ses collages bidimensionnels, et en particulier le chiasmage qui vide en quelque sorte les objets de leur matérialité existentielle et les enveloppe de textes illisibles comme d'un tissu mental infini.

Son œuvre de photomonteur-collagiste-assembleur ne fait sans doute que redoubler dans l'espace réel les opérations qu'il a d'abord accomplies dans ses livres de poèmes. Le musée Guggenheim de New York accueille ses œuvres en 1975 et en 1976, lui offrant ainsi une reconnaissance internationale ; une[...]

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Pour citer cet article

Alain JOUFFROY. KOLÁŘ JIŘÍ (1914-2002) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉCRITS SUR L'ART MODERNE, Louis Aragon - Fiche de lecture

    • Écrit par Marianne JAKOBI
    • 1 090 mots
    ...intitulé « Cinq tableaux d'une exposition » publié dans Les Lettres françaises en 1966, Aragon consacre un poème à chacun des tableaux de Paul Klee. Parmi ces écrits poétiques sur l'art des grands maîtres du xxe siècle, on note un texte consacré à un artiste contemporain tchécoslovaque alors...
  • TCHÈQUE RÉPUBLIQUE

    • Écrit par Jaroslav BLAHA, Marie-Elizabeth DUCREUX, Universalis, Marie-Claude MAUREL, Vladimir PESKA
    • 18 252 mots
    • 3 médias
    ...1964). Le troisième poète phare, Jan Zahradníček, alors en prison (La Maison Peur), devient le symbole de tous les catholiques emprisonnés ou exclus. Jiří Kolář publie tardivement, dans son exil parisien ses poésies, surtout « visuelles ». Les surréalistes, avec Teige, puis V. Effenberger, sont...

Voir aussi