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JE M'EN VAIS, Jean Echenoz Fiche de lecture

Depuis son premier livre, Le Méridien de Greenwich (1979, prix Fénéon), Jean Echenoz (né en 1947) a toujours séduit la critique et le public par la singularité de son entreprise, définie lors de la sortie de son troisième ouvrage, L'Équipée malaise (1986), comme « la subversion du roman par déstabilisation douce ». Devenu un écrivain confirmé, il a continué d'être célébré par la critique et les jurys : après le prix Médicis pour Cherokee (1983), le prix européen de littérature pour Lac (1989), l'académie Goncourt l'a couronné en 1999 pour Je m'en vais, son huitième roman (éditions de Minuit).

Un art du dépaysement

Avec constance Jean Echenoz pratique envers le lecteur l'art subtil du décalage et du dépaysement. Dépaysement géographique : marchand d'art, Félix Ferrer, le héros de Je m'en vais, part chercher un trésor d'objets inuit dans la cale d'un navire emprisonné dans les glaces à proximité de Port Radium. Dépaysement formel, aussi : Jean Echenoz sait utiliser les mécanismes de genres littéraires très classiques : L'Équipée malaise multipliait les mutineries, les rencontres amoureuses et les embuscades menées par des trafiquants d'armes, toutes péripéties chères au roman d'aventures. Dans Je m'en vais, Echenoz se réfère explicitement au téléfilm policier tout en restant, cette fois encore, à la limite du genre. L'intrigue est réellement crapuleuse : il y a manipulation, détournement de fortune et mort d'homme, le criminel est traqué sur les routes de France et d'Espagne, des arrivées ou des disparitions inattendues entretiennent le suspense. Tout est plausible, pesé, quantifié, mais rien n'est sûr, pas même le rire, pas même la mort.

L'auteur, en effet, se joue de la situation et de personnages auxquels il refuse toute profondeur psychologique : la maladie est la seule réaction de Félix Ferrer au vol de la cargaison d'objets qu'il a rapportés de l'extrême nord à grands frais. Il s'absente de la réalité sans autre forme d'émotion. La description scientifique de son malaise cardiaque, l'hésitation du diagnostic entre « un B.A.V. (bloc auriculo-venticulaire) de type Mobitz II » et un « deuxième degré type Luciani-Wenckebach » recèle un pittoresque inattendu, qui écarte tout autre commentaire.

À l'intérieur de cette construction extrêmement précise et élaborée, Jean Echenoz assigne un rôle actif au lecteur. Celui-ci se voit tour à tour interpellé, mis dans la confidence ou déstabilisé : d'une page à l'autre, un élément du récit, l'intervention d'un personnage changent de statut et de sens. La longue explication qu'un douanier assène à un automobiliste intercepté, dans un langage sentencieux et encombré de périphrases administratives, apparaît à une lecture confiante comme un morceau de bravoure littéraire dédié aux maîtres de l'absurde. Mais voilà que, quelques pages plus loin, l'intrigue récupère ce monologue et chasse toute illusion de gratuité : il s'agissait d'un stratagème élaboré par un policier déguisé en douanier pour retarder un suspect.

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Pour citer cet article

Aliette ARMEL. JE M'EN VAIS, Jean Echenoz - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ECHENOZ JEAN (1947- )

    • Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
    • 1 179 mots

    Jean Echenoz est né le 26 décembre 1947 à Orange. C'est en 1979 qu'il fait son entrée dans le paysage littéraire avec Le Méridien de Greenwich. Publiée aux éditions de Minuit au moment où la littérature française est traversée par de nombreux débats sur la fin des avant-gardes et...

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