JAPON (Le territoire et les hommes) Droit et institutions

Nom officiel Japon
Chef de l'État L'empereur Naruhito - depuis le 1er mai 2019
Chef du gouvernement Shigeru Ishiba - depuis le 1er octobre 2024

Au cours d'un développement d'une vingtaine de siècles, le droit japonais a connu bien des transformations spontanées ou suscitées par des influences extérieures. Jusqu'au milieu du xixe siècle, ces influences venaient principalement des civilisations indienne et chinoise, et, pendant des milliers d'années, le droit japonais a évolué sous l'empire exclusif de la civilisation orientale. On entend ici par ce terme un ensemble englobant les civilisations indienne, chinoise et japonaise, même si, à vrai dire, la notion d'Orient est fort imprécise et ne correspond à aucune civilisation unifiée, comme ce fut le cas en Occident.

Depuis le milieu du siècle passé à peine, le droit japonais a commencé à subir l'influence décisive de l'Europe. Forcé d'abandonner sa politique singulière du sakoku (« fermeture du pays »), le Japon dut s'adapter rapidement aux réalités politiques extérieures. Pour rivaliser avec les puissances occidentales entrées en relations avec lui après l'ouverture du pays en 1854, il dut moderniser son organisation politique et sociale et, pour ce faire, s'inspirer largement des pays occidentaux. C'est ainsi qu'il réforma son système juridique, dès le début de l'époque de Meiji (1868), suivant l'exemple des droits anglais, français et allemand.

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La structure du droit japonais est donc, pour l'essentiel, identique à celle des droits occidentaux. Mais le mécanisme juridique est mis en action par des hommes dont la mentalité est déterminée par les conditions culturelles de leur pays propre. Aussi le droit japonais, tout en se rapprochant des droits européens par sa structure, s'en distingue sensiblement par sa fonction.

Sur le plan institutionnel, le Japon a recouvré son indépendance le 8 septembre 1951, date de la signature à San Francisco du traité de paix qui mettait fin à six années d'occupation américaine. Plus d'un demi-siècle plus tard, il se caractérise toujours, sur le plan politique, par une remarquable stabilité : stabilité interne, qu'atteste la reconduction au pouvoir d'équipes conservatrices sauf durant un bref intermède, entre 1993 et 1996 ; stabilité internationale, que manifeste une assez constante fidélité à l'alliance américaine, nullement incompatible avec des relations amicales établies avec des puissances qu'animent des idéologies différentes. Cette stabilité est due essentiellement à une conception bien comprise des intérêts japonais et à des structures sociales originales.

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Le Japon, dont les entreprises expansionnistes menées dans le Sud-Est asiatique avant et pendant la Seconde Guerre mondiale n'ont pas laissé que de bons souvenirs, s'est employé depuis la fin de la guerre à y retrouver son audience. Usine de l'Asie, le Japon cherche à la fois des matières premières pour son industrie et des débouchés pour ses produits manufacturés. Il n'est point étonnant que ses regards se portent vers les pays les plus proches qui peuvent lui fournir les unes et les autres, et qu'à cet égard la Chine populaire exerce sur lui une irrésistible attraction. Mais le commerce avec la Chine ne peut dépasser les limites permises par l'amitié américaine. Le Japon pratique donc un subtil jeu d'équilibre, dans lequel il arrive en fait à commercer avec tous sans s'aliéner la sympathie d'aucun.

Les structures sociales du pays favorisent de telles ambitions, en garantissant une stabilité politique et une paix sociale favorables au développement économique. Société qui repose encore sur d'anciennes et strictes hiérarchies, sur un réseau étroit d'obligations et de protections individuelles, sur un « esprit de firme », sur une tradition monarchique ininterrompue, le Japon ne peut avoir qu'un comportement instinctivement conservateur et rester attaché à l'ordre établi. Cet ordre, que servent depuis la fin de la guerre les libéraux-démocrates, est en fait celui des grands états-majors industriels et financiers, dont le leitmotiv est de produire toujours davantage au plus bas prix pour vendre sans cesse plus à tout le monde. La politique, au Japon, est la servante de l'économie.

Structure du droit japonais

Pour commencer sa réforme juridique, au lendemain de la Restauration de 1868, le gouvernement impérial ordonna qu'on traduisît tous les codes napoléoniens pour les mettre en application au Japon ; mais ce projet hasardeux fut très vite abandonné. On entreprit alors la codification du droit avec l'aide de juristes français puis allemands. Avant la fin du siècle, la tâche laborieuse de modernisation du droit japonais était achevée. Il appartient ainsi, du moins par sa structure, à ce que R. David appelle la famille des droits romano-germaniques.

Les sources du droit japonais en sont l'illustration. La plus importante est, comme en droit français, la loi, qui est votée par le Parlement (Constitution, art. 41 et 59). La Constitution, le Code civil, le Code de commerce, le Code pénal, le Code de procédure civile et le Code de procédure pénale constituent les principales sources législatives. Les deux premiers codes sont fortement marqués à la fois par les droits français et allemand, les deux suivants par le droit allemand, le cinquième enfin par les droits allemand et américain. Ce dernier exerce une grande influence sur le droit japonais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La deuxième source du droit est la coutume : la loi du 21 juin 1898 sur l'application des lois prévoit que la coutume qui n'est pas contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs vaut loi, pourvu qu'elle soit admise par la loi ou qu'elle détermine les matières qui ne sont pas prévues par la loi. Malgré cette règle, la jurisprudence admet souvent les coutumes contra legem. La coutume est essentielle pour connaître le droit vivant japonais. La troisième source est la jurisprudence. À la différence de la common law, le droit japonais ne la considère pas comme source formelle. Le juge n'est lié, dit la Constitution, que par la Constitution et la loi (art. 76). Mais, en réalité, la jurisprudence est une très importante source, surtout quand elle émane de la Cour suprême. Le juge ne peut l'ignorer impunément dans sa décision. Ne pas considérer la jurisprudence serait méconnaître l'aspect réel du droit japonais. À défaut de ces trois sources, le juge a recours au jōri, c'est-à-dire à l' équité naturelle, comme le déclare une loi de 1875 ; mais il semble bien qu'aucune décision ne se fonde sur le seul jōri.

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Ce mécanisme juridique est manié par les juristes formés dans les facultés de droit, modelées elles aussi sur celles d'Europe. Ainsi, vu de l'extérieur, aucun élément ne distingue radicalement le droit japonais du droit occidental.

Esprit de finesse et conciliation

Le droit japonais fonctionne dans des conditions culturelles entièrement différentes de celles de l'Occident. Le droit, en un sens très large, est en effet un art social destiné à faire régner la paix dans une société, et la manière de le mettre en pratique varie selon la conception que l'on a de cet art. Le droit est ainsi une partie intégrante de la mentalité totale d'un peuple, mentalité qui, à la différence du cadre extérieur, ne se transforme pas aisément, surtout quand elle résulte d'une très longue évolution culturelle. Aussi le droit japonais présente-t-il un aspect très singulier aux yeux d'un Occidental, qui s'attend à le trouver plus semblable à son propre droit. Par exemple, les juristes européens sont souvent étonnés du petit nombre des litiges ; cela vient de ce que les Japonais n'aiment pas régler leurs conflits en justice. On reconnaît, bien entendu, qu'ils existent et qu'il faut les faire disparaître ; mais on hésite à faire appel à la solution tranchante qu'est le jugement. La mentalité japonaise éclaire cette conception du droit.

Jusqu'au xixe siècle, la civilisation japonaise s'est développée dans des conditions culturelles très particulières, tributaires de la situation géographique. Isolé par la mer et séparé du continent asiatique par un espace assez grand pour le mettre à l'abri des invasions, le Japon, dont aucune puissance extérieure n'est venue anéantir la civilisation, s'est enrichi d'apports externes volontairement reçus. Une large tolérance pour tout ce qui vient de l'étranger en découle, et des éléments culturels d'origine très diverse y coexistent paisiblement. Ainsi, même après s'être familiarisé avec la manière européenne de penser, l'esprit des Japonais reste profondément ancré dans sa mentalité originelle. Cette mentalité a des analogies avec ce que Lucien Lévy-Bruhl appelle « mentalité primitive », dominée par la « loi de participation ». La pensée n'y suit pas la procédure discursive de la logique ; elle est intuitive ; elle ne se soucie guère du principe de non-contradiction, essentiel à la logique des Occidentaux. L'esprit japonais est plus proche de l'esprit de finesse, que Pascal oppose à l'esprit de géométrie : « Il faut tout d'un coup voir la chose, d'un seul regard, et non pas par progrès de raisonnement [...] Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur. » Les Japonais préfèrent la connaissance par le cœur à la connaissance par la raison.

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Une telle mentalité n'apprécie guère la précision logique : pour elle, toute donnée est en tant que telle parfaite ; on doit la laisser exister telle qu'elle est ; l'analyser ou la préciser, c'est la décomposer ou la déformer, c'est exercer une violence sur son intégralité. Il en est de même des réalités sociales. L'ordre, la paix sociale sont donnés ; il ne faut pas les perturber. Si un conflit éclate entre deux personnes, il est évident que ce conflit trouble la paix. La naissance d'un trouble social est en elle-même injuste : on doit le faire disparaître le plus tôt possible pour rétablir l'ordre originel. Les parties opposées sont toutes les deux répréhensibles, parce qu'elles ont nui à la paix sociale ; aussi leur faut-il tout faire pour la restaurer. Dès lors, le règlement d'un conflit ne peut être la constatation du droit de la partie qui a raison, il consiste bien plutôt en l'effort mutuel pour mettre fin au conflit. La notion de droit individuel, strictement déterminé, est étrangère à une telle pensée. L'aversion pour la précision logique s'oppose à une solution tranchante du conflit qui ne reconnaît des droits qu'à l'une des deux parties ; l'une gagne tout et l'autre n'obtient rien : voilà, schématiquement décrite, la solution de type occidental. Devant une pareille solution, il est tout naturel que les Japonais se sentent mal à l'aise.

Un récit très populaire d'un jugement attribué à un juge fameux, nommé Ōoka, de l'époque des Tokugawa, illustre ce qui précède. Ce conte humoristique, qui reflète bien l'esprit peu juriste des Japonais, est connu sous le titre : Tous les trois perdent un ryō. Un plâtrier laisse tomber dans la rue sa bourse, qui contenait trois ryō (unité monétaire de l'époque des Tokugawa), son sceau et une note de paiement. Un charpentier la ramasse. Renseigné par la note sur l'adresse du propriétaire de la bourse, il se rend non sans peine jusqu'à la maison de celui-ci. Contre toute attente, le plâtrier refuse de reprendre l'argent, tout en acceptant les autres objets : « La somme de trois ryō, dit-il, m'a quitté de son plein gré pour entrer dans votre main. Je n'aimerais pas reprendre une chose si ingrate. Elle est à vous. » Entendant cette réponse, le charpentier se met en colère, car il a pris la peine de venir chez le plâtrier rapporter la bourse. Ainsi naît une dispute très curieuse, mais violente, les deux hommes refusant de s'approprier l'argent (il faut noter que les gens d'Edo, l'ancien Tōkyō, se vantaient d'être généreux et de ne pas tenir à l'argent). En désespoir de cause, on décide de porter l'affaire en justice. Après avoir constaté le fait – que les deux parties ne contestaient pas –, le juge rendit sa décision : il confisqua la somme, puis alloua à chacune des parties deux ryō. Ensuite, le juge exposa le motif de ce jugement comme suit : « Je suis très heureux de trouver des personnes aussi honnêtes que vous. Pour récompenser votre honnêteté, j'ai rendu la décision que je voudrais intituler : « Tous les trois perdent un ryō. » Pourquoi ? Monsieur le plâtrier, vous avez perdu un ryō, parce que, si vous n'aviez pas laissé tomber votre bourse, vous auriez gardé vos trois ryō. Monsieur le charpentier, vous avez aussi perdu un ryō, parce que, si vous aviez accepté l'offre du plâtrier, vous auriez gagné trois ryō. Moi aussi j'ai perdu un ryō, celui que j'ai ajouté pour vous en distribuer deux à chacun. »

Dans ce jugement, il n'y a ni gagnant ni perdant selon l'acception européenne. Les deux parties sont plus ou moins satisfaites, sans qu'aucune ne l'emporte sur l'autre. Tout le monde sacrifie quelque chose pour le rétablissement de la paix, même le juge. C'est l'idéal de la vie sociale que de ne donner naissance à aucun conflit. S'il s'en produit un par malheur, les intéressés doivent s'efforcer de parvenir à un accord volontaire. À défaut, la personne choisie par les intéressés pour arbitrer le conflit – y compris le tribunal – doit essayer de les réconcilier dans la mesure du possible, afin d'aboutir à une solution « ronde » : le rond symbolise chez les Japonais la perfection, la douceur, l'harmonie. La contrainte est la pire solution. Les Japonais répugnent donc toujours à porter un litige devant le tribunal : on a honte d'être convoqué en justice, même en matière civile ; on se sent coupable d'assigner son adversaire devant le tribunal ; on se reconnaît inhumain si l'on va jusqu'à recourir à la force publique pour imposer sa volonté.

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Il est indéniable qu'une telle mentalité est appelée à se transformer avec le temps. Déjà elle paraît, dans la jeunesse actuelle, beaucoup plus faible que chez les anciens, mais ce n'est qu'une apparence, du moins pour le moment. Les jeunes ont certes une conscience très vive de leurs droits, mais ils sont peu sensibles à l'atteinte aux droits d'autrui. Ils ne comprennent pas que la même logique domine toute prétention des droits. Il s'avère donc que, sous une apparence différente, ils restent étroitement liés à la mentalité ancestrale.

Les institutions et la mentalité

La manière de concevoir le droit au Japon se reflète dans toutes les institutions juridiques, comme on peut le voir à l'aide de quelques exemples.

Selon le Code civil, la propriété est un droit de jouir et de disposer d'une chose librement (art. 206). Il est certain que le droit adopte alors la conception de propriété du type européen ; mais le Japonais moyen ne partage pas une telle conception. La distinction entre le mien et le tien n'est guère précise. Par exemple, le gardien d'une chose d'autrui croit souvent pouvoir en jouir à son gré sans permission du propriétaire. Celui-ci passerait pour avare s'il lui reprochait quelque emploi injustifié de son bien.

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Le Japonais, quand il conclut un contrat, est très insouciant. Il n'en précise pas bien le contenu, ni ne se demande s'il est capable de l'exécuter selon les conditions fixées avec le cocontractant. En cas d'inexécution, il est rare que le créancier ait tout de suite recours à la voie judiciaire. Les contractants reviennent encore une fois à leur convention pour trouver une solution « ronde » susceptible de satisfaire les deux parties. Le créancier qui tient avec persistance aux clauses convenues est considéré comme inhumain. Le Japonais qui a passé un contrat avec un Occidental est le plus souvent embarrassé par la demande de celui-ci, si juste soit-elle, car elle lui semble trop brutale et trop directe.

Le même esprit se retrouve en matière de responsabilité civile. En cas de dommage causé par une personne à une autre, l'acte dommageable nuit à la vie paisible de cette dernière. C'est cet aspect moral qui intéresse avant tout les deux parties. Le dédommagement matériel est une question secondaire. La victime attend de l'auteur du préjudice l'expression d'excuses sincères ; si elle est émue par la sincérité de l'auteur, elle renonce très souvent à lui demander réparation. Imposer le dédommagement à la personne qui se repent de son acte serait un comportement inhumain. L'accroissement des accidents d'automobiles tend à changer cette attitude, mais, même en ce cas, l'intervention de la police comme conciliateur est normale.

Dans le procès, on l'a vu, la solution tranchante du conflit qu'est le jugement n'est pas celle que les Japonais affectionnent. Ils lui préfèrent la conciliation. Ainsi, ce n'est pas le droit stricto sensu, mais l'équité naturelle (jōri) qui plaît aux Japonais. Le tribunal fonctionne au Japon moins comme organe de jugement que comme agent de conciliation. Le nombre des affaires réglées de la sorte est toujours plus grand que celui des affaires résolues par jugement.

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Certes, le droit japonais se rapproche chaque jour davantage du droit occidental, même dans sa fonction, mais la mentalité nationale ne se modifiera pas si aisément. Pour longtemps encore, elle ne cessera de donner au droit japonais une figure et un esprit très originaux.

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Écrit par

  • : membre du Conseil constitutionnel, professeur de droit public à l'université de Paris-II
  • : professeur à la faculté de droit de Tōkyō
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Le tout-puissant Tojo - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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