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JACKIE BROWN (Q. Tarantino)

Depuis son premier film, Reservoir Dogs (1992), davantage encore depuis Pulp Fiction, palme d'or du festival de Cannes en 1994, Quentin Tarantino est le plus « médiatique » des cinéastes américains, et le plus cinéphile. Plus que de cinéphilie, il faut d'ailleurs parler ici d'une culture des images dont le haut lieu est le vidéo club, tel celui où Quentin Tarantino, né en 1963, passa l'essentiel de son temps au début des années 1980 jusqu'à y travailler, organisant des rétrospectives, des hommages, des cycles thématiques et retrouvant ainsi l'esprit des cinémathèques. L'amour du cinéma, lorsqu'il est forgé par la vidéo, se singularise par un éclectisme sauvage, un goût plus marqué pour le cinéma de genre et un fétichisme de la citation exacerbé jusqu'à la griserie formelle. Cette forme particulière de cinéphilie a incontestablement marqué le style de Tarantino, qui se distingue par sa capacité à créer des images fortes, des scènes « cultes » (Pulp Fiction en est une collection), son habileté à revisiter les genres (notamment le film de gangsters, mais aussi le western sous une forme urbaine) et à manier le premier et le second degré dans la représentation de la violence. Le spectateur est au centre de ce cinéma qui travaille à le séduire, le déstabiliser, et qui n'en maintient pas moins avec lui un rapport honnête, excluant la manipulation. À cette inspiration très personnelle, mais si liée à la culture d'une génération qui a aimé John Travolta dans La Fièvre du samedi soir en 1977 et le retrouve dans Pulp Fiction, qui entretient un rapport ludique et désacralisé avec les images aussi ; Jackie Brown (1997) donne une belle et décisive ampleur.

La question des générations est justement au centre de ce film-portrait, et de façon surprenante puisque l'héroïne éponyme en est une femme noire (Pam Grier) qui a presque passé la quarantaine et vivote avec son maigre salaire d'hôtesse de l'air et un peu d'argent blanchi pour le compte d'un trafiquant d'armes sans envergure. D'emblée, l'âge de Jackie Brown apparaît comme un matériau extrêmement riche pour Tarantino, qui regarde cette femme comme une histoire à elle seule, avec une intensité naturelle proche de celle qui lie Pedro Almodovar à ses personnages féminins du même âge. Cette force romanesque et sensible que confère l'éprouvante expérience de la vie sera jusqu'au bout le véritable objet du film, à travers le fragile échange amoureux qu'entame Jackie Brown avec le prêteur sur gages Max Cherry (Robert Forster), quinquagénaire désabusé et sentimental. Autour d'eux, des personnages très typiques, en revanche, de l'univers de Tarantino : Ordell (Samuel L. Jackson), trafiquant d'armes drogué et halluciné, Mélanie (Bridget Fonda), sa jolie poupée blonde, Louis Gara (Robert De Niro), son complice impassible et fou, et deux policiers pittoresques déterminés à faire tomber Ordell en se servant de Jackie. L'histoire, qui verra Jackie tirer son épingle (500 000 dollars) du jeu avec l'aide de Max Cherry, importe en réalité étonnamment peu. Tarantino, chez qui la forme du récit a toujours primé sur sa teneur, n'était encore jamais allé aussi loin dans l'artificialité revendiquée de l'intrigue. Il filme l'apogée dramatique de Jackie Brown (un échange de sacs remplis de dollars, véritable marché de dupes) comme une pure et vertigineuse chorégraphie : la scène, reprise selon tous les points de vue des personnages qu'elle implique, ne raconte plus tant un subterfuge qu'elle n'avoue en être un elle-même. Cet exercice de style n'a qu'un seul enjeu : la présence des personnages, donc celle des acteurs, dont Tarantino, comme à son habitude, tire le meilleur.

Jackie Brown est en effet aussi le premier film[...]

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Frédéric STRAUSS. JACKIE BROWN (Q. Tarantino) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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