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HISTOIRE DE MA VIE, Giacomo Casanova Fiche de lecture

Un art de la dépense

L'âge qui vient et le renom d'escroc ont sans doute rendu moins euphoriques les dernières aventures de celui qui s'arroge le titre imaginaire de chevalier de Seingalt, mais doit accepter, pour survivre, le poste de bibliothécaire du comte de Waldstein dans le château de Dux, en Bohême. C'est dans l'exil de ce lieu perdu que l'aventurier vieillissant collectionne ses souvenirs et rédige ses mémoires à partir de notes prises sans doute tout au long de sa vie. Jean-Jacques Rousseau vient de donner à l'Europe l'exemple de confessions qui prétendent tout dire. Rétif, qui est de La Bretonne comme Casanova est de Seingalt, suit cet exemple prestigieux. Ces plébéiens revendiquent le droit de raconter les détails de leur vie que le code classique jugeait inconvenants. Casanova ne se remémore pas des erreurs et des péchés devant un juge suprême, il invite son lecteur à partager des moments heureux : plaisirs du lit et de la table dont il sait parler dans une langue dont la sensualité n'est qu'à lui. Cette allégresse vient d'un sentiment de liberté à l'égard de toutes les normes : normes sociales, bafouées par celui qui fréquente les bas-fonds des capitales aussi bien que les cours, normes morales tournées par celui qui n'a pas de scrupules pour ajouter à toutes ses aventures féminines quelques liaisons homosexuelles, et qui tire même une jouissance particulière d'avoir cru qu'une de ses maîtresses était un castrat ; normes religieuses, bien connues par l'ancien séminariste qui n'hésite jamais à transgresser un interdit ecclésiastique.

La critique a longtemps été obnubilée par la question de la sincérité du mémorialiste et de la véracité de son récit. Elle a cherché les erreurs, traqué les mensonges. Il est plus intéressant de reconstituer l'imaginaire d'un Italien féru d'auteurs latins, nourri de l'Arioste et du Tasse, bon connaisseur de la littérature française contemporaine, qui restitue l'atmosphère d'une Europe galante, d'un amoralisme hédoniste, d'une liberté qui est dans l'air du temps. Le vieil homme du château de Dux est révolté par les nouvelles qui lui parviennent de France. La Révolution ruine l'idée qu'il se faisait de l'élégance aristocratique et du raffinement à la française. Le nouveau moralisme bourgeois révulse celui qui, comme Rétif, imagine que ses plus jeunes maîtresses sont ses filles, souvenirs vivants de frasques passées. Casanova oppose au temps qui passe, à une jeunesse disparue et à un Ancien Régime emporté par la tourmente révolutionnaire la jubilation d'un savoir-vivre libertin qui est de son temps et d'un savoir-dire qui n'est qu'à lui, entre le français et l'italien, entre la culture livresque et l'oralité quotidienne.

— Michel DELON

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Michel DELON. HISTOIRE DE MA VIE, Giacomo Casanova - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CASANOVA GIACOMO (1725-1798)

    • Écrit par Denise BRAHIMI, Universalis
    • 1 274 mots
    • 1 média
    Histoire de ma vie est rédigé en français, non sans italianismes et barbarismes divers. Casanova leur avait donné successivement deux titres : Histoire de ma vie jusqu'en 1797, et Mémoires de Jean-Jacques Casanova de Seingalt, contenant ses voyages et ses aventures galantes et politiques en...

Voir aussi