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CHETTLE HENRY (1560 env.-1607)

Fils d'un teinturier de la cité de Londres, Chettle travaille comme apprenti chez un imprimeur en 1577. On le retrouve, quelque dix ans plus tard, associé de l'imprimeur John Danter. L'imprimerie était un lieu de rencontre des university wits et des dramaturges. Danter ayant fait faillite, l'imprimeur Chettle se mit à écrire des pièces pour Philip Henslowe, entrepreneur de spectacles et constructeur de théâtres (La Rose, 1587), principal fournisseur de la troupe de l'Amiral, dont il devint le banquier, prêtant de l'argent aux auteurs et aux acteurs. Le nom de Chettle figure souvent parmi ses débiteurs dans son célèbre Diary (Journal).

Aussi bien, ce Chettle besogneux devint, par nécessité autant que par goût, un des dramaturges les plus prolifiques de l'époque : il mit la main à quarante-huit pièces avec divers collaborateurs : Francis Meres, dans son Palladis Tamia (1598), le déclare « un des meilleurs pour la comédie ». À peine quelques-unes sont parvenues jusqu'à nous, dont une seule entièrement de sa plume, Hoffman ou Vengeance pour un père (Hoffman or a Revenge for a Father, 1602), imprimée en 1631 ; elle a contribué à sauver son nom de l'oubli.

Comme le sous-titre l'indique, Hoffman est une « tragédie de la vengeance », genre inauguré par La Tragédie espagnole (The Spanish Tragedy, 1587-1589), le chef-d'œuvre de Thomas Kyd, qui devait engendrer une longue série de drames, où la passion de la vengeance pour un crime inexpiable est le motif essentiel de l'action. Le vengeur est en quelque sorte un héros qui poursuit jusqu'à la mort une noble tâche de justicier. Hamlet, joué à la même date, est un drame de ce type. Les variétés en sont nombreuses, et le vengeur-héros se dégradera en vengeur-scélérat (villain), comme c'est le cas du Vindice de Tourneur et déjà de Hoffman.

La vengeance peut, à la rigueur, se justifier, lorsqu'il s'agit de venger un crime que la justice des hommes laisserait impuni. Hoffman, lui, s'évertue à venger la mort d'un père qui n'a pas été assassiné, mais exécuté par voie de justice, pour crime de piraterie. Hoffman, réfugié dans une grotte au bord de la mer, y vit à côté du squelette de son père — comme Vindice avec le crâne de sa fiancée. Otho, le fils du duc qui a condamné le père d'Hoffman, fait naufrage près de la grotte : belle occasion pour le vengeur ! Mais tuer Otho ne lui suffit pas, il lui faut toute la famille. Après maintes péripéties et d'horribles détails, il est pris au piège et exécuté à son tour, comme son père l'a été, par l'imposition sur la tête d'une couronne de fer chauffée au rouge. L'outrance des incidents, la sauvagerie des vengeances, l'extrême tension d'un style souvent obscur auraient fait de cette pièce les délices d'Antonin Artaud. Autant que Tourneur, que Marston et que Webster, Chettle est un adepte du « théâtre de la cruauté ».

Mais son nom a été retenu également pour un incident qui l'associe à celui de Shakespeare. Ayant pris part à l'impression du célèbre pamphlet de Robert Greene, Un liard d'esprit (Groatsworth of Wit, sept. 1592), où il injurie Shakespeare, Chettle se repentit et s'excusa aussitôt dans un pamphlet intitulé Le Rêve des cœurs généreux (Kind-Harts Dreame, déc. 1592). À la diatribe de Greene contre le shake-scene (scène de choc), Chettle répond par un éloge sans ambiguïté du personnage : « Je suis aussi fâché que si la faute initiale [d'avoir injurié Shakespeare] avait été la mienne, car j'ai pu constater qu'il était aussi courtois dans sa conduite qu'excellent dans sa profession. En outre, diverses personnes d'honneur ont témoigné de sa droiture en affaires, ce qui prouve son honnêteté, et de la grâce plaisante de ses écrits, ce qui est un compliment sur son art. » Les «[...]

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Écrit par

  • : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence

Classification

Pour citer cet article

Henri FLUCHÈRE. CHETTLE HENRY (1560 env.-1607) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉLISABÉTHAIN THÉÂTRE

    • Écrit par Henri FLUCHÈRE
    • 10 600 mots
    • 2 médias
    ...luxure dans The Dutch Courtesan (La Courtisane hollandaise, 1604) ou du goût de la mort dans The Insatiable Countess (La Comtesse insatiable, 1608). Chettle renchérit sur les atrocités sénéquéennes dans son Hoffman déjà cité ; Cyril Tourneur, dans sa Tragédie du vengeur, crée des personnages...

Voir aussi