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FRÖDING GUSTAF (1860-1911)

Il y a du Baudelaire, du Verlaine, du Heine chez Fröding, poète suédois accablé d'une lourde hérédité, alcoolique instable et finalement terrassé par la schizophrénie. Mais tout compte fait, c'est à la Suède, à son Vermland natal qu'il doit le meilleur de son inspiration, quantité de ses thèmes et son extraordinaire musicalité. De là vient qu'il soit si mal connu à l'étranger, si malaisément traduisible aussi : encore bien plus que sa contemporaine Selma Lagerlöf, il est enfant de la Suède, du petit peuple suédois qui, d'emblée, s'est accordé aux harmonies de Guitare et accordéon (Gitarr och dragharmonika, 1891), Le régionalisme demeure à ce jour l'une des sources d'inspiration les plus fécondes de la Muse suédoise, il nous vaut régulièrement de belles œuvres pittoresques et riches de chaleur humaine qui constituent certainement l'une des hautes originalités d'une littérature menacée sans cela d'inféodation aux grandes modes contemporaines. C'est à Fröding qu'elle le doit.

C'est qu'il a su, dans de nombreux recueils de poèmes, comme Nouveaux Poèmes (Nya Dikter, 1894), Éclats et lambeaux (Stänk och flikar, 1896) donner libre cours à un humour dru, directement jailli du terroir, qui est aussi l'arme dont il se sert contre le désespoir de ne pouvoir réconcilier les cruelles antinomies qui lui gâtent sa vision du monde, Humour ou parodies savoureuses, comme dans ses Historietter och anekdoter (1895, 1897) : il prend ainsi ses distances vis-à-vis d'une réalité trop méchante. S'y ajoute un art parfaitement élaboré, fruit d'une remarquable maîtrise des possibilités plastiques et musicales de la langue suédoise où il faut voir, en profondeur, un amour intense de la vie naturelle, une joie d'exister hic et nunc, au-delà de la souffrance et du désaccord. Attitude pathétique et bien moderne qui exige toujours une double lecture du poème ; derrière les servitudes de la réalité, au niveau de l'expression même et de l'insidieuse provocation des sons, persiste un chant invincible.

Avec les années, l'inspiration s'infléchira dans un sens plutôt mystique : Neuf et vieux (Nytt och gamalt, 1897), Gouttelettes du Graal (Gralstänk, 1898), en proposant le thème symbolique du Graal, image de la réconciliation universelle, tentent, en esprit cette fois, d'arriver à des pays « plus confiants et plus doux ». Car le mal n'est peut-être pas l'universelle loi. « Il y quelque chose de beau dans un pou, et dans une feuille verte derrière une maison cachée » : fleurs du mal qui, notons-le bien, ne relèvent pas d'une esthétique, mais d'une fondamentale foi dans la bonté.

L'œuvre de Fröding représente un exemple du pouvoir de la poésie qui permet de dominer un sort contraire. L'écrivain a su s'élever « vers des choses plus nobles que l'affliction sur sa misère ». Cela confère à sa voix une intensité tragique d'une prenante beauté.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. FRÖDING GUSTAF (1860-1911) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SUÈDE

    • Écrit par Régis BOYER, Michel CABOURET, Maurice CARREZ, Georges CHABOT, Universalis, Jean-Claude MAITROT, Jean-Pierre MOUSSON-LESTANG, Lucien MUSSET, Claude NORDMANN, Jean PARENT
    • 35 770 mots
    • 19 médias
    ...romantique attardé capable de superbes romans historiques (Les Carolins) et dont le recueil Année de pèlerinages et d'errances (1888) ouvre la voie à Gustaf Fröding (1860-1911), disciple des romantiques anglais, poète maudit qui exhala dans des recueils d'une belle musicalité comme Guitare et...

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