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FERRERO GUGLIELMO (1871-1942)

Issu de la bonne bourgeoisie piémontaise, formé aux disciplines juridiques et littéraires par des études universitaires poursuivies à Pise, à Bologne, à Turin — où il reçut les leçons de son futur beau-père, Cesare Lombroso —, Ferrero a très tôt manifesté pour l'interprétation historique un intérêt que le constant souci de comprendre son temps n'a cessé de soutenir. Dès l'époque de sa dissertation de licence sur les symboles, envisagés d'une manière que l'on qualifierait aujourd'hui de pluridisciplinaire, il s'est interrogé sur les conséquences de la politique coloniale exaltée par Crispi, l'avenir de l'Europe après Sadowa et Sedan, le destin des peuples latins. Une série de voyages à travers les « nécropoles » du vieux continent (1891-1896) l'a enrichi d'informations nouvelles, exposées dans L'Europa giovane (1897) et, en le confortant dans son jugement négatif sur le militarisme, l'a conduit à poser la question décisive : à quels signes peut-on reconnaître qu'une société entre en décadence ?

La méditation qui a abouti à la publication de Grandezza e decadenza di Roma (1902-1906) est d'abord une réponse aux interrogations et aux inquiétudes nées de cette représentation du présent, notamment marquée par la guerre des Boers et le débat sur la légitimité du gouvernement d'un empire. Décidément anti-académique, le travail qu'elle a inspiré ne s'inscrit pas dans le cadre universitaire officiellement tracé ; aussi, et en dépit de l'abondance des sources auxquelles il se réfère, l'a-t-on dit d'amateur. Rebelle à toute exploitation nationaliste, sans lien avec les investigations philologiques alors à la mode ni rapport avec le matérialisme historique et dialectique, la première grande œuvre de Guglielmo Ferrero appartient bien à cette Kulturgeschichte, cette historiographie artiste, qui a trouvé en Jacob Burckhardt son maître incomparable.

En Italie, on y a moins distingué la nouveauté de la méthode — l'intégration des éléments socio-économiques, politiques, psychologiques, philosophiques, esthétiques et religieux en une saisie compréhensive de l'évolution historique — et l'originalité de l'apport — par exemple sur l'abandon du programme oriental d'Antoine et l'affirmation augustéenne de la vocation européenne de Rome — que la désacralisation du césarisme mommsénien, c'est-à-dire d'un culte héroïque dont l'auteur démontrait parfaitement qu'il était une falsification moderne. À Ferrero, De Sanctis et Pais reprochèrent violemment de ne pas pratiquer une histoire « scientifique », comme celle que défendait Salvemini, et, par la suite, ni Croce ni Gramsci ne voulurent admettre la modernité de l'approche historiographique présentée dans l'article intitulé « Per la scienza della storia » (in Rivista italiana di sociologia, no 4, 1902) que l'on pourrait regarder comme le manifeste d'une « nouvelle histoire » d'où sont sortis Les Femmes des Césars (1911) et La Palingenesi di Roma, da Livio a Machiavelli (1924, en collaboration avec Leo Ferrero).

Dans les autres pays, où cette œuvre fut immédiatement traduite, l'accueil fut plus favorable. On allait reconnaître qu'elle anticipait sur plus d'un point les thèses savantes d'Édouard Meyer et de Ronald Syme. Elle allait surtout contribuer à réveiller l'intérêt du public pour l'histoire romaine et à susciter la réflexion sur les dangers qui résultent toujours d'un bouleversement de l'ordre géographique et juridique. Au reste, le recours à l'Antiquité pour redonner sens à l'humain, la recherche de modèles de mesure et d'équilibre n'étaient pas inactuels : la fin des illusions du progrès, la Première Guerre mondiale[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

Classification

Pour citer cet article

Bernard VALADE. FERRERO GUGLIELMO (1871-1942) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DÉCADENCE

    • Écrit par Bernard VALADE
    • 9 945 mots
    À bien des égards, les vues de Mosca sont à rapprocher de celles de G. Ferrero. Lui aussi insiste sur l'importance des freins. Tout pouvoir est une défense contre l'anarchie, contre l'écrasement toujours menaçant des faibles par les puissants, contre la destruction de la légalité. Pour lui, les civilisations...

Voir aussi