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GAVARNI SULPICE GUILLAUME CHEVALIER dit PAUL (1804-1866)

« Je vais à la bibliothèque en partant pour le bal de l'Opéra », remarque le dessinateur et le lithographe Sulpice Guillaume Chevalier, dit Gavarni. Cela n'est pas une simple boutade ; la désinvolture de vie que ce mot suppose définit bien le caractère de l'homme et de son œuvre. Ce séduisant romantique est, comme d'autres petits maîtres français, héritiers du xviiie siècle, le témoin pittoresque de son temps et l'inventeur de son image. Comme ces « peintres de la vie moderne » dont parle Baudelaire, et exception faite de Daumier qui occupe une place particulière, Gavarni a un crayon flatteur, élégant et charmant, enlevé sinon facile, qui ne connaît que son plaisir, qui ne prend plaisir qu'à ce qu'il voit. Parisien du Paris des boulevards, il raconte ce qu'il aime, le monde contemporain de la rue, des bals publics, de la vie facile. Mais son art ne se limite pas à cette grâce immédiate, à cette « modernité », même évoquée avec une indéniable élégance de trait.

La précision de ses notations, l'ironie qui s'y exerce, légère ou plus incisive mais toujours rapide, distinguent de tout autre cet observateur d'esprit. Illustrateur et critique, il n'est ni complaisant ni moraliste, répugne au réquisitoire comme au dithyrambe, se prête mal à la violence des sentiments (de ceux qui élevaient pourtant alors des barricades, soulevaient des batailles d'Hernani) ; il pratique l'esprit d'insouciance comme la vertu la plus grave en toute circonstance, ne prête attention qu'à sa fantaisie et au plaisir de la dissipation. Cette nature marqua l'essentiel de sa vie comme de son œuvre, et son succès en dépendit.

Gavarni était commis d'architecte, passionné de mathématiques, lorsque se présenta, en 1830, la chance d'être engagé, grâce au charme des petites scènes de mœurs qu'il aimait à croquer en amateur, au journal La Mode. Ce guide de l'élégance légitimiste l'introduisit immédiatement dans la société parisienne. Tous les salons s'ouvrent à lui, de celui de Balzac à celui de la duchesse d'Abrantès. Limogé à la révolution de Juillet, il tente de créer un rival, Le Journal des gens du monde. Cette entreprise hasardeuse le conduit pour dettes, après dix-neuf numéros et une faillite, à la prison de Clichy. Au moins en tirera-t-il vingt lithographies éditées en 1840.

Mais c'est au cours de ses nombreuses années de collaboration avec le populaire Charivari que Gavarni connaît le meilleur de sa verve et cet immense succès dont Balzac, Sainte-Beuve et surtout les Goncourt ont tenu à témoigner. À partir de 1837 se succèdent ses plus fameuses séries consacrées aux Fourberies des femmes, aux Coulisses (1838), aux Artistes et aux Actrices, aux Débardeurs (1840), au Carnaval et au Bal Chicard (1839-1843). La plus célèbre demeure celle des Lorettes, ces belles filles demi-mondaines en qui se révèlent le mieux la dernière mode et l'éternel populaire, et qu'il décrit avec minutie à toutes les heures de leur journée.

Son mariage en 1844, puis la venue au monde de plusieurs enfants porteront sensiblement ombrage à ce naturel irréfléchi. Lors d'un séjour en Angleterre (1847), il tourne délibérément le dos à la société londonienne, prête à le fêter, pour s'installer dans le monde misérable de Whitechapel. Sa technique s'y révèle meilleure que jamais, ses compositions beaucoup plus complexes. Mais son sourire notoire y disparaît et son succès aussi. Il résiste mal à l'accueil très réservé fait à sa série parue dans le Paris de dix-huit Masques et visages (1852-1853), malgré leur perfection indéniable. La mort d'un fils, éprouvée semble-t-il comme le seul drame personnel de sa vie, achève de le détourner de son travail d'artiste, et il revient à sa première passion, les sciences mathématiques.[...]

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Pour citer cet article

Bernard PUIG CASTAING. GAVARNI SULPICE GUILLAUME CHEVALIER dit PAUL (1804-1866) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CARICATURE

    • Écrit par Marc THIVOLET
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    Dans son sillage, Gavarni créa une œuvre moins expressive mais d'une remarquable unité. Cham avait imité le Suisse Töpffer avant d'adopter lui aussi la manière de Daumier ; ses charges, fort nombreuses, donnèrent une image anecdotique et superficielle des hommes et des événements.
  • CRITIQUE D'ART EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE

    • Écrit par Christine PELTRE
    • 6 622 mots
    • 5 médias
    Bien d'autres positions sont ainsi définies par des idéaux aussi littéraires que plastiques. La défense assidue de l'œuvre de Gavarni (1804-1866) par les frères Goncourt, qui lui consacrent un ouvrage en 1873, n'est pas étrangère à leur admiration pour Balzac : le dessinateur et l'écrivain semblent...

Voir aussi