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JOVELLANOS GASPAR MELCHOR DE (1744-1811)

Jovellanos a laissé une image complexe qu'historiens et biographes interprètent différemment selon leurs options politiques. Goya fit de lui un portrait. Ces deux grands Espagnols du xviiie siècle eurent en commun d'avoir les yeux fixés sur leur pays. Les vues de l'un, les visions de l'autre, instruisent encore l'Espagne sur elle-même.

La carrière d'un Espagnol éclairé

Asturien, comme le père Feijóo dont il prit la relève, Gaspar Melchor de Jovellanos naquit à Gijón, d'une famille noble mais modeste qui le destina aux ordres. Il perdit vite ses illusions sur l'enseignement dispensé par les universités. Sur le point de recevoir la tonsure, il opta pour le droit. À vingt-quatre ans, nommé procureur à Séville, il se présenta au tribunal sans perruque, sur le conseil du comte d'Aranda, président du Conseil de Castille. Cet affront à la tradition suscita la méfiance. S'appliquant immédiatement à de nouvelles études, Jovellanos lut avidement l'œuvre des philosophes et des physiocrates français, s'intéressa avec passion aux « colonisations » de la sierra Morena que poursuivait Pablo Olavide, apprit l'anglais, écrivit une pièce de théâtre, El Delincuente honrado (Le Criminel honnête, 1774), dans le goût des comédies larmoyantes et sentimentales de l'époque – mais l'un de ses personnages réclame déjà « la raison, l'humanité et la nature ! »

Auteur lui-même de poésies, le lyrisme lui paraissait « peu digne d'un homme sérieux », et il encouragea les poètes à n'écrire que des œuvres utiles. Son œuvre en vers n'est, en réalité, que la laborieuse application des exercices de métrique et de rhétorique fort courants alors en Espagne. En cela, Jovellanos s'est platement conformé au goût de ses contemporains qui, pour extirper de la littérature espagnole toutes les vieilles traditions qu'ils jugeaient pernicieuses – le baroque, le cultisme, la poésie populaire, bucolique et mystique –, s'évertuaient à cultiver un nouveau genre, importé de France : les fables et les poèmes didactiques. Ceux que Jovellanos composa, aujourd'hui à l'usage des enfants, tombèrent dans l'oubli dès le début du xixe siècle. Ses pièces de théâtre, riches en poncifs et pauvres en inventions, suivirent le même sort, bien que son Pelayo (Pélage, 1769) ait été, à l'époque, considéré comme un modèle de drame national, par son exaltation du sentiment patriotique.

Quand il fut nommé, en 1778, alcalde de casa y corte à Madrid, les académies lui ouvrirent leurs portes, mais il se lia surtout aux défenseurs du despotisme éclairé : Francisco Cabarrus, le comte de Campomanes, ce dernier procureur du Conseil de Castille et fondateur des sociétés économiques des Amis du pays, qui furent le reflet et l'instrument des Lumières en Espagne. Dans l'esprit de réforme et d'examen qui caractérise le règne de Charles III, et dans le cadre d'une politique régaliste, il est chargé de plusieurs missions. Accumulant notes et informations sur les terres qu'il traverse, le milieu naturel, les moyens de travail et le comportement des paysans, il contribua à faire du voyage une activité intellectuelle. Le paysage devint un thème moral et politique, et la plupart de ces voyages se transformèrent en « rapports ».

La mort de Charles III, en 1788, la Révolution française et le changement d'orientation de la politique espagnole avec l'arrivée de Manuel Godoy mirent un point final à cette ère de critique. Sous prétexte de l'envoyer étudier les mines de charbon de sa province natale, on éloigna Jovellanos de la capitale. L'exil à peine déguisé qu'il passa à Gijón dura sept ans, jusqu'en 1797 où le Prince de la Paix décida de le rappeler. Mais, suspecté de nouveau en 1801 pour un Informe acerca[...]

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Écrit par

  • : maître assistant à l'U.E.R. de littérature générale et comparée de l'université Paris-III, agrégée d'espagnol

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Pour citer cet article

Florence DELAY. JOVELLANOS GASPAR MELCHOR DE (1744-1811) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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