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FRANZ KAFKA (Cahier de l'Herne)

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Une langue aussi précise qu’insaisissable

Un peu plus loin, et en contrepoint, Georges-Arthur Goldschmidt, avec la verve caustique et la finesse intuitive qu'on lui connaît, balaye le préjugé selon lequel il y aurait des langues moins « précises » que d'autres. Toute langue est capable du meilleur et du pire, nous dit-il en substance, et l'allemand a touché à son pire absolu avec la LTI (lingua tertiiimperii) de l'époque nazie, décrite par Victor Klemperer. L'allemand intact, « impollu » comme dit le français classique, c'est pour Goldschmidt celui de Karl-Philipp Moritz, de Goethe, d'Eichendorff, de Heine, de Nietzsche et de Kafka. Pour définir l'extraordinaire précision de l'allemand de Kafka, il a cette formule qui résume tout : « Dans une nouvelle d'Adalbert Stifter, ce très grand auteur autrichien, intitulée Le Chemin en forêt, il y a cette remarque : “chaque chose est à dire avec les seuls mots qui lui sont nécessaires, pas un de plus, pas un de moins – et surtout sans ces ajouts secondaires qui entortillent la chose.” » La langue de Kafka cerne « un centre muet, à la fois clair et insaisissable, évident et inavouable ». C'est cela qui rend l'allemand de Kafka si parfaitement exact.

Plus prometteuses sont les perspectives des grands travaux philologiques en cours. La publication de l'édition critique des textes de Kafka, aux éditions S. Fischer, menée à bien de 1982 à 1996 à partir des travaux de Malcom Pasley et de Klaus Wagenbach, se poursuit actuellement avec l'édition de la correspondance. Une autre édition, consistant en une reprographie des premières publications parues du vivant de Kafka et en un fac-similé des manuscrits conservés, accompagné de la transcription diplomatique en regard, est en cours chez Stroemfeld. L'édition due à Max Brod, longtemps irremplaçable, n'a plus aujourd'hui qu'un intérêt historique. Quant à la critique génétique, elle dispose de matériaux inépuisables. Pour les amateurs de monumentales éditions historiques et critiques, les analyses introduites dans ce Cahier de L'Herne par Claudine Raboin seront un excellent guide. Kafka se réjouirait-il de voir ses moindres repentirs examinés à la loupe, lui qui se fiait si peu à ses premiers jets et qui se relisait avec une vigilance autocritique poussée jusqu'au masochisme ? Tiendrait-il cette sacralisation de ses manuscrits pour une hérésie ?

La nouvelle édition critique, sans doute définitive, a-t-elle inspiré des certitudes nouvelles à l'interprétation des textes de Kafka ? Philippe Zard montre, dans sa déconstruction ironique de toutes les interprétations possibles de Chacals et Arabes que c'est précisément parce qu'ils ne livrent jamais un sens définitif que les textes de Kafka conservent une force de fascination intacte. Neuf lectures possibles s'ouvrent au lecteur attentif et ingénieux, sans parler de toutes les autres que l'on pourrait certainement entreprendre. « Que tirer de ces variations où “chacals” et “Arabes” occupent tour à tour les fonctions “Juifs” et “non-Juifs”, “sionistes” et “antisionistes”, “religieux” ou “séculiers”, “Européens” ou “Arabes” ? », se demande Philippe Zard. Cette « poétique du cauchemar éveillé » ne connaît pas le principe de contradiction et met à nu des antinomies d'une troublante et brûlante actualité.

— Jacques LE RIDER

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Jacques LE RIDER. FRANZ KAFKA (Cahier de l'Herne) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 18/12/2014