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FERDYDURKE, Witold Gombrowicz Fiche de lecture

Dénoncer l'absurdité du monde

Ici, comme dans ses autres romans ou ses pièces de théâtre, Gombrowicz pousse la logique narrative jusqu'à ses dernières conséquences sans souci de réalisme. Le roman est comme une machine infernale qui, par son fonctionnement rigoureux, dérange l'ordre réel en le faisant apparaître lui-même comme une autre forme de désordre. Non pas lutte du désordre contre l'ordre, mais, plus radicalement, opposition entre deux formes de désordres incompatibles. En témoignent les deux récits intégrés au roman, précédés chacun d'une introduction, et qui viennent en rompre la linéarité : « Philidor doublé d'enfant » et « Philibert doublé d'enfant ». Dans le premier de ces récits, on assiste au combat burlesque entre deux « savants », l'un, Philidor, « professeur de synthèse », l'autre, l'Anti-Philidor, « professeur d'analyse ». Combat épique, au cours duquel les épouses des deux savants trouveront la mort et qui transpose à un autre niveau le conflit entre maturité et immaturité. Pour finir, Philidor et l'Anti-Philidor retombent en enfance : « Ils aimaient beaucoup chasser les grenouilles à la carabine et les moineaux à l'arc, ou bien, du haut d'un pont, jetaient des bouts de papier et des brins d'herbe. » Ne restent que des objets qui ont pris leur indépendance et sont prétextes à des jeux puérils : le plus bas est logé au cœur du plus haut : « Tout est doublé d'enfants », dit en conclusion Philidor.

Au cours de cet étrange roman d'apprentissage, Jojo va être entraîné dans bien des tribulations qui lui feront explorer tous les arcanes de la société, des sentiments et de l'existence. Jojo trouvera-t-il à la fin de sa quête le « moi » qu'il cherchait ? Oui, dans la mesure où ce moi n'est plus une substance close sur elle-même, mais une subjectivité poreuse, traversée par des contradictions dont nulle synthèse ne peut venir à bout. « Nous nous mettrons bientôt à redouter notre personne et notre personnalité en discernant qu'elles ne sont pas pleinement nôtres. Et au lieu de meugler : „Voilà ce que je crois, voilà ce que je sens, voilà ce que je suis, voilà ce que je soutiens“, nous dirons avec humilité : „Quelque chose en moi a parlé, agi, pensé...“ » Par ce roman insolite, troublant, Gombrowicz a non seulement fait preuve d'un art accompli de conteur, mais il a aussi porté le fer de son étrange imaginaire au cœur même des contradictions de la modernité et de l'existence.

— Francis WYBRANDS

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Pour citer cet article

Francis WYBRANDS. FERDYDURKE, Witold Gombrowicz - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • GOMBROWICZ WITOLD (1904-1969)

    • Écrit par
    • 1 096 mots
    ...rigoureusement exigée, même le plus minime des petits plaisirs ne peut se passer de piété », dira dans Cosmos[Kosmos, 1965] le terrible et dérisoire Léon). Il serait bien entendu absurde de réduire Ferdydurke à l'homosexualité, La Pornographie (Pornografia, 1960) à la mise en scène érotique, Cosmos...
  • L'IDIOTIE (J.-Y. Jouannais)

    • Écrit par
    • 922 mots

    N'est pas idiot qui veut. À partir d'articles publiés dans des revues artistiques (telles qu'art press, dont il fut le rédacteur en chef adjoint de 1991 à 1999), de conférences données dans diverses universités et de réflexions inédites, le critique d'art Jean-Yves Jouannais...