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KAGAN ÉLIE (1929-1999)

Le photographe Élie Kagan est né à Paris en 1929 ; ses parents, tous les deux juifs (son père d'origine russe, sa mère polonaise), étaient installés dans le Xe arrondissement. Le jeune adolescent est confronté à l'antisémitisme, à l'Occupation, à la déportation des siens. Il porte l'étoile jaune avant d'être caché durant de longs mois dans la capitale occupée. Il dira lui-même qu'il éprouva, le jour où il put enfin sortir de sa cachette, le sentiment d'être un « survivant ». Cette blessure, le souvenir des lâchetés dont il fut le témoin et qu'il n'évoquait qu'avec une extrême pudeur, son obsession d'empêcher à jamais le retour de ce type d'ignominie lui font rejoindre, dès la Libération, le Parti communiste qu'il identifiait alors à la résistance au nazisme. Il n'y restera que fort peu de temps, le parti de Maurice Thorez appréciant peu l'attitude d'un militant qui préférait, aux réunions de cellule, lâcher en plein meeting des préservatifs gonflés à l'hélium. Il conserva ce goût de la provocation toute sa vie et il devint un personnage du pavé parisien, dialoguant avec un autre provocateur qui vient de mourir, Mouna Aguigui, dont il n'épousait pas toujours les points de vue écologiques mais dont il aimait le non-conformisme. Un jour il arrosa d'eau de Seltz les clients du Café de Flore ou, plus récemment, intervenant sur la scène du Théâtre de l'Odéon où étaient réunis intellectuels ou nostalgiques à l'occasion du lancement d'un ouvrage consacré aux acteurs de Mai-68, il invectiva les participants, « anciens combattants » ayant tout simplement oublié le second terme de cette expression.

Photographe, Élie Kagan couvrait l'actualité et, en indépendant irréductible, il courait les rédactions pour commercialiser lui-même les clichés qu'il venait de prendre et de développer. Des manifestations politiques, essentiellement, mais aussi des portraits, des instantanés de rue qui paraissaient dans Les Lettres françaises, dans Témoignage chrétien, dans France Observateur puis dans Le Nouvel Observateur et, à partir de 1973, dans Libération. La recherche du document était, pour lui, plus importante que l'affirmation stylistique et il laisse des archives imposantes sur près d'un demi-siècle d'actualité politique. On retiendra surtout de lui qu'il suivit, pratiquement seul, la manifestation organisée à Paris le 17 octobre 1961 par le F.L.N. et que la police, dirigée par le préfet Maurice Papon, réprima avec une violence inouïe avant de tout faire pour dissimuler les atrocités qui eurent lieu pendant la nuit (selon les sources, on estime entre 32 et plus de 200 le nombre de morts). Élie Kagan rapporta des documents impressionnants, un témoignage implacable et réclama inlassablement que la lumière soit faite sur cet épisode honteux de la guerre d'Algérie qui rencontrait d'évidents échos avec sa propre expérience d'adolescent. Toujours indigné, toujours à l'affût d'une injustice à dénoncer, il réalisa les premières images sur les S.D.F. et accompagna aussi bien les revendications du mouvement Droit au logement que celles des sans-papiers. Sa hargne, son refus d'accepter l'indifférence des médias pour ceux qu'il voulait aider l'avaient, à la fin d'une vie difficile, rendu aigri, agressif, mais il n'a jamais baissé les bras. Élie Kagan est mort solitaire mais légitimement fier de « n'avoir jamais accepté l'inacceptable ».

— Christian CAUJOLLE

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