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ÉDUCATION LIBÉRALE

La dichotomie primaire/secondaire

Cette idée d'une éducation libérale primaire est une idée profondément polysémique. Primat de l'éducation sur l'instruction, idéal d'une discipline « libérale » fondée sur le self-government des élèves, réévaluation culturelle des savoirs primaires, chargés eux aussi, comme dit Buisson, de « former l'homme tout entier » : l'éducation libérale primaire veut dire, parfois confusément, tout cela.

Elle est spécifique à un primaire qui reste « l'école du peuple », sociologiquement et institutionnellement séparé du secondaire. Il n'est évidement pas question d'introduire dans l'instruction primaire l'étude des œuvres classiques ni l'enseignement du latin.

Elle témoigne néanmoins d'un fait nouveau : le primaire commence à être pensé en référence au secondaire. L'éducation libérale primaire n'est pas l'éducation libérale secondaire, celle que Laprade appelle de ses vœux, mais si elle doit former l'homme tout entier, elle accomplit en son genre une fonction similaire ; en prétendant former les enfants du peuple au beau, au vrai et au bien, elle refuse d'enfermer les savoirs primaires dans la dimension utilitaire qui les définissait jusqu'alors. Certes, c'est là bien davantage un idéal formulé dans les discours qu'une réalité effective. L'école primaire républicaine est restée, dans les faits et même dans les textes qui l'ont organisée, une école tournée vers les connaissances usuelles de la vie. Mais la formulation même de cet idéal véritablement inédit a pour effet de rendre moins évident, moins « naturel », le dualisme alors en vigueur des ordres d'enseignement. En d'autres termes, il existe un lien intellectuel entre l'idée d'une éducation libérale primaire et la problématique, qui va apparaître dès les premières années du xxe siècle, de l'école unique.

Il est alors intéressant d'observer que, lorsque l'école unique va être réellement mise en chantier en France, à partir des années 1960, ce lien va se dénouer. La raison en est que, dans cette unification du primaire et du secondaire en deux degrés successifs du même système éducatif, le secondaire va perdre sa vocation d'éducation libérale. En devenant l'objet d'une concurrence généralisée pour la distribution des meilleures positions sociales, l'école « de la maternelle à l'université » va tendre vers une instrumentalisation des savoirs qu'elle enseigne. Elle se dégage ainsi de la configuration morale dans laquelle elle inscrivait depuis la Renaissance le projet d'instruire, et qui a donné sens à l'idée même d'une éducation libérale.

— Pierre KAHN

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'Institut universitaire de formation des maîtres de Versailles

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Pour citer cet article

Pierre KAHN. ÉDUCATION LIBÉRALE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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