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ÉCONOMIE (Histoire de la pensée économique) L'école classique

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Une problématique unifiée ?

Cette controverse est donc importante et l'on peut s'interroger sur le point de savoir si elle exprime deux problématiques différentes. Si tel était le cas, il semblerait légitime de poser la question de l'unité théorique de l'école classique.

Il suffit de lire la Richesse des nations et les Principes de l'économie politique et de l'impôt pour être frappé par la différence de ton entre ces deux ouvrages. Michel Foucault, dans Les Mots et les choses, avait souligné ces différences qu'il attribuait à deux épistémès différentes. Avant lui, les économistes de la tradition marshallienne avaient interprété ces différences comme le résultat d'hypothèses sur les rendements (d'échelle et marginaux) affectant « normalement » l'activité économique. Smith supposerait des rendements d'échelle croissants (comme en témoigne son insistance sur le fait que les marchandises sont de moins en moins coûteuses à produire à mesure que les quantités produites augmentent), Ricardo des rendements d'échelle constants et des rendements marginaux décroissants, comme en témoigne sa conception de l'accumulation du capital comme lutte contre la rareté de ce dernier.

On peut exprimer cette différence de ton en des termes plus simples. Smith se demande : « pourquoi sommes-nous si riches ? », tandis que Ricardo se demande : « pourquoi sommes-nous si pauvres ? ». Smith serait « optimiste » et Ricardo « pessimiste ». L'impression est toutefois trompeuse, car les questions posées par les deux auteurs sont sensiblement différentes.

Pour s'en convaincre, il faut revenir sur une constante importante de l'école classique qui oppose deux types de comportements : l'activité laborieuse et l'accumulation du capital. Le travail salarié est une activité limitée par les besoins. En tant que donnée, le taux de salaire naturel exprime très simplement ce fait : le travailleur ne travaille que dans la limite de ses besoins. En revanche, l'accumulation du capital est une activité sans fin. Dans la Théorie des sentiments moraux (1759), Smith est parfaitement clair sur ce point. Celui qui accumule du capital s'imagine qu'il consommera plus tard le capital qu'il accumule aujourd'hui : il renonce à sa consommation présente pour pouvoir consommer davantage dans le futur. Mais, en réalité, jamais il ne consommera car, sans qu'il le sache, ce n'est pas l'utilité qu'il recherche ; c'est son « amour des systèmes » qu'il satisfait, comme l'homme d'État ou le philosophe. Il est donc victime d'une illusion, selon Smith, et « cette illusion a changé la face du monde ».

De ce point de vue, l'activité laborieuse et l'accumulation du capital s'opposent en ce que la première est parfaitement lucide quand la seconde est inconsciente. Bien entendu, un individu peut décider de vendre son capital et consommer enfin le fruit de son épargne. Smith n'évoque même pas ce cas, car le capital, en d'autres mains, poursuit alors son accumulation. Ce qui revient finalement à une formulation très proche de celle qui sera formulée bien plus tard : l'accumulation du capital est un processus sans sujet. Cette position est dans le fond commune à Smith, à Ricardo mais aussi à Marx.

La différence qui traverse l'école classique tient au jugement porté sur l'accumulation du capital. La question que pose Smith est alors celle de mettre en lumière les conditions qui doivent être réunies pour que ces deux activités, le travail et l'accumulation du capital, soient compatibles. À quelles conditions l'enrichissement sans limite des uns améliore-t-il la condition des autres ? Telle est la question centrale de la Richesse des Nations, posée dès l'introduction de l'ouvrage. Loin[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, directeur du pôle d'histoire de l'analyse et des représentations économiques (C.N.R.S., universités de Paris-X et Paris-I)

Classification

Pour citer cet article

Daniel DIATKINE. ÉCONOMIE (Histoire de la pensée économique) - L'école classique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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Autres références

  • MARITIMISATION DE L'ÉCONOMIE

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