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DES DIFFICULTÉS AVEC LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE (O. Marquard)

La philosophie de l'histoire est un poison qu'il importerait, d'urgence, d'épargner au monde. Tels sont les premiers mots du livre d'Odo Marquard, Des difficultés avec la philosophie de l'histoire (Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 2002), dont la radicalité n'entame en rien une érudition d'autant plus originale qu'elle se soutient de citations d'œuvres de philosophes allemands non traduits en français. L'auteur entend par « philosophie de l'histoire », cette torsion scientifique de la lecture du monde humain que l'idée de progrès et celle de sécularisation accouplées ont fait subir à la pensée depuis les Lumières. Il voit en elle la consomption suprême dans laquelle, au xixe siècle, les Temps modernes ont atteint leur apogée et trouvé leur terme avec le mythe trompeur de l'émancipation. Tel est le diagnostic, tels sont les symptômes.

Que reproche exactement Marquard à la philosophie de l'histoire ? D'avoir trahi l'homme mondain et d'avoir tenté d'évacuer définitivement l'anthropologie, au sens d'une science de l'humain considéré dans des contextes universels au profit d'une vision sacrée de l'homme noyé dans un processus qui le dépasse et l'écrase... La philosophie de l'histoire implique la croyance en un sens ultime des affaires humaines. Or rien ne permet de démontrer une telle assertion, ou de l'infirmer. Le passé y est toujours et déjà pensé comme préparatoire à un avenir toujours et déjà accompli par avance. L'espérance est donc un mal, et l'avenir une déception, dès que, devenu présent, il lui est confronté. Certes Marquard précise bien que cette philosophie idéaliste de l'histoire n'est une théologie sécularisée que dans sa fonction ; elle ne l'est ni dans son contenu ni dans sa structure. Il n'en demeure pas moins que le ver qui ronge les temps présents se trouvait déjà dans le fruit de la modernité du xviiie siècle.

Mais qu'est-ce que la sécularisation ? Il s'agit d'un processus historique de longue haleine au cours duquel des valeurs et des principes religieux, transcendants, sacrés et éthiques se voient remplacés par d'autres, laïcs et profanes, lesquels ne sont en fait que la continuation des premiers au travers d'un dépérissement et d'un affadissement sémantique qui n'en finissent plus.

Quelles sont les conséquences de ce bouleversement et de ce travestissement ?

Devant la défaillance de la raison dans l'histoire, Odo Marquard défend la thèse d'un réinvestissement de la nature et de l'art. La nature devient alors l'ultime préoccupation, en particulier sous la forme de la médecine et de l'esthétique : le corps à soigner et la nature dont l'art s'inspire.

C'est de cette façon que l'auteur entend le renouveau de l'anthropologie : une réaction contre la philosophie de l'histoire et un refus de la métaphysique qui y est contenue. Mais que faut-il entendre exactement par « anthropologie » ?

Cette catégorie enveloppe deux acceptions et c'est ce qui contribue d'ailleurs à sa confusion sémantique. Elle désigne tout d'abord un ensemble de disciplines empiriques qui ne tirent leur validité que de leur fonction descriptive : l'ethnologie par exemple. Cependant, elle contient aussi une dimension philosophique dont l'objectif, plus large et plus théorique, consiste à s'interroger sur « l'essence de l'être humain ». En résumé, l'affaiblissement et le rejet de la philosophie de l'histoire ont permis, selon Marquard, de revaloriser l'anthropologie au sens où Husserl et Dilthey entendaient ce terme, à savoir d'un « tournant vers le monde de la vie ». En France, Marquard fait observer que des philosophes comme Kojève, Merleau-Ponty et Sartre ont bien accompli ce tournant anthropologique[...]

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Écrit par

  • : professeur d'ethnologie à l'université de Paris-V-René-Descartes-Sorbonne

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