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CHANTS, Giacomo Leopardi Fiche de lecture

Le recueil des trente-six poèmes et cinq fragments poétiques de Giacomo Leopardi (1798-1837), publié à Florence en 1831 puis, augmenté, à Naples en 1835, ne parut sous sa forme définitive, posthume, que dix ans plus tard. Sa rédaction s'étendit, de manière discontinue, de 1818 à 1836. La place même de la poésie dans l'œuvre de Leopardi évolua selon l'espace que semble lui avoir laissé, dans son entreprise de désenchantement, la réflexion implacable de ce maître en matière de lucidité. Face à la connaissance désespérée à laquelle parvint Leopardi dans ses œuvres en prose, et d'abord dans son immense journal intellectuel, le Zibaldone, tenu de 1817 à 1832, la poésie est-elle refuge ou transfiguration ? À l'orée d'un romantisme que Leopardi tout à la fois annonce, réfute et dépasse, peut-il subsister un chant véritable, digne de la grande poésie lyrique des Anciens, « sommet du discours humain » mais aussi reflet des illusions heureuses, antérieures aux amères victoires de la raison ?

La pure souffrance d'être

Leopardi use de la poésie tour à tour pour confirmer ou pour atténuer la radicalité de ses intuitions philosophiques, au premier rang desquelles l'assimilation de l'intelligence au malheur, la conscience d'une logique régressive de l'Histoire, l'intuition du double visage de la Nature (tantôt modèle pour les hommes, tantôt foncièrement inhumaine), et le sentiment – déjà profondément moderne – que le langage, désormais incapable de dire le monde, porte à jamais l'empreinte d'une plénitude révolue. L'homme, soutient Leopardi, espère du chant qu'il le « console » ou le « recrée » : « Dans mon enfance, quand la fête qu'on espère/ Avec tant de désir s'était évanouie,/ Moi, plein de douleur, les yeux ouverts,/ J'oppressais ma couche, et dans la nuit tardive,/ Un chant qu'on entendait par les chemins/ Mourir en se perdant peu à peu/ Déjà semblablement serrait mon cœur » (« Le Soir du jour de fête »). Au fur et à mesure que le nihilisme léopardien l'emporte sur l'espérance, la consolation, illégitime ou trop fragile, s'estompe devant la recréation nécessaire : le poème, dans sa tension vers une improbable célébration, devient alors la forme aboutie du stoïcisme, non de l'illusion.

Dans l'œuvre léopardienne, une lucidité croissante va de pair avec la destruction de l'héritage formel légué par la grande poésie lyrique. C'est là une riche contradiction : nostalgique du chant, espérant en raviver l'hypothèse, Leopardi met à mal, les unes après les autres, les formes que ce chant a prises au cours des âges, et aboutit à des poèmes sans règles préfixées, totalement libres dans le recours à la rime ou l'assonance. La perfection de « L'Infini » ou d'« À soi-même » ne doit presque plus rien aux formes apprises et presque tout à une irrépressible logique interne, à l'extrême intériorisation du chant, qui toutefois ne se perd pas dans le culte de l'intime et vise un total dépassement de l'énonciation personnelle. « C'est en effet dans l'évacuation progressive de la subjectivité, au profit d'un chant qui déplore au nom de tous la pure souffrance d'être, qu'il faut peut-être chercher l'origine de cette exigence d'une forme nouvelle », affirme Michel Orcel, à qui l'on doit la plus rigoureuse traduction intégrale des Canti en français.

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Écrit par

  • : écrivain, traducteur, directeur de collection et critique littéraire

Classification

Pour citer cet article

Bernard SIMEONE. CHANTS, Giacomo Leopardi - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LEOPARDI GIACOMO (1798-1837)

    • Écrit par Sergio SOLMI
    • 2 837 mots
    • 1 média
    ...du Zibaldone (1898-1900), qui traitent, dans une perspective quasi physiologique, de la succession des états de tension et de relâchement affectifs. Ce qui explique la précieuse rareté de son œuvre lyrique, limitée au seul livre des Canti, et qui peut aussi expliquer pourquoi, pendant une période...

Voir aussi