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STERNHEIM CARL (1878-1942)

Écrivain allemand, auteur d'essais et de nouvelles, mais essentiellement connu pour ses comédies, Carl Sternheim naquit dans une famille de banquiers et s'essaya d'abord à la tragédie. Ses premières pièces — certaines écrites en vers — obéissent aux lois de la « grande forme ». Le Sauveur, Judas Iscariote trahissent l'influence scandinave (Strindberg, Ibsen) comme celle du pathétique néoromantique. L'hétérogénéité du ton et des milieux, surtout bourgeois, renvoie à une esthétique « épigonale » avec laquelle Sternheim rompt en 1910 avec La Culotte, qui connut un succès de scandale.

La « tétralogie de Maske » comprend, outre La Culotte, 1913, Le Snob et Le Fossile. Elle forme le noyau sur lequel se construit alors le cycle dit des « comédies de la vie héroïque et bourgeoise ». La puissance du dramaturge Sternheim tient à la brutalité de sa langue (« l'allemand dépouillé »), à la violence des conflits dominés par le déchaînement de l'Éros et l'appât de l'argent, à l'actualité des types dont les plus remarquables sont des révélateurs vigoureux de la société wilhelminienne.

Sternheim peut être tenu pour le critique le plus virulent d'un monde hiérarchique et autoritaire, fondé sur le modèle militaire répercuté dans la vie quotidienne par l'administration et l'école. Il ne remet cependant pas en cause les structures sociales. S'il subsiste quelque hésitation à propos de La Culotte, le doute n'est plus permis par la suite : on trouve dans Tabula rasa (1915) un tableau impitoyable du syndicalisme et de la social-démocratie. Les essais ultérieurs — Courage privé, Déclaration de guerre à la métaphore, Berlin ou le Juste Milieu — circonscrivent une vision du monde originale. Nourri de Nietzsche, de Weininger, de Stirner, Sternheim est anti-hégélien, anti-darwinien, anti-marxiste. La valeur suprême est l'individu dont le théâtre montre la réussite « héroïque » à travers la victoire du Moi sur les autres, les systèmes ou les groupes (La Culotte, Tabula rasa), ou bien l'échec par adhésion aux codes collectifs (Le Bourgeois Schippel). Le repère stable, dans ce théâtre, est celui de « la nuance personnelle », érigée en valeur suprême. Sa parenté avec l'expressionnisme reste donc superficielle. En disciple de Nietzsche encore, Sternheim, « phénoménologue », exclut les critères moraux du champ de l'esthétique. En rupture avec la philosophie idéaliste, Sternheim ne pouvait que rejeter l'humanisme goethéen ainsi que les schémas tragiques du xixe siècle, illustrés par Kleist et Hebbel. Pour une large part, ses maîtres en comédie sont extérieurs à l'Allemagne. Fasciné par les personnages « monomanes » de Molière, Sternheim renoue avec la tradition antique de la Nea, mais plus nettement encore avec l'aristophanisme. Le constat qu'il dresse de la trivialisation généralisée le pousse en outre à emprunter au boulevard certains traits de style. Il en résulte une fidélité aux schémas anciens qui contraste avec la révolution théâtrale des années vingt et explique le peu d'influence qu'il a exercé sur la postérité, sauf ponctuellement sur F. Dürrenmatt et M. Walser. Pourtant Sternheim, le plus puissant auteur comique allemand du xxe siècle, pratique la technique (moderne) de la « fausse conciliation » qui transforme le happy end en une issue dissonante et grinçante. Il tente aussi d'ouvrir une voie entre la conception sociale affirmative du courant italien et français et le postulat hégélien du « triomphe de la subjectivité » réalisé sans négation de la « substance ». C'est peut-être dans cette tentative singulière, plus que dans des moyens techniques ou, a fortiori, le psychisme instable qui le caractérise, que résident les causes de l'irritation indéniable que ce théâtre de l'impossible[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France

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Pour citer cet article

Jean-Marie VALENTIN. STERNHEIM CARL (1878-1942) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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