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FENOGLIO BEPPE (1922-1963)

« Ce fut le plus solitaire de tous qui réussit à écrire le roman dont nous avions tous rêvé... » Ce jugement de Italo Calvino, un des maîtres de la génération issue de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance, résume parfaitement l'importance de Beppe Fenoglio dans la littérature italienne des années cinquante en même temps que son destin de solitaire en marge du monde des lettres.

Né en 1922, mort prématurément en 1963, Fenoglio a fort peu publié de son vivant ; pendant les quelques années de son activité littéraire, il accumule un matériel énorme qu'il reprend et corrige inlassablement et d'où ont été tirés après sa mort quelques romans et des nouvelles. Passionnante et difficile, son œuvre est à la fois extrêmement élaborée et inachevée parce qu'on ne saura jamais exactement quel en aurait été l'état définitif.

Le sédentaire des Langhe

Né à Albe, Fenoglio n'a pratiquement jamais quitté sa ville natale ; ce sédentarisme marque un attachement profond pour sa terre des Langhe, une région superbe mais pauvre et austère, située aux limites du Piémont et de la Ligurie, entre Cuneo et Alessandria. Cette région de collines, qui avait déjà inspiré Pavese, lui inspire de nombreuses nouvelles et constitue le cadre de toute son œuvre ; le soin qu'il mettait à observer le pays et ses habitants prouve à l'évidence qu'il voulait donner une existence littéraire à cette terre oubliée.

Au centre de cette forte chronique paysanne, il y a la loi d'airain de l'économie : la disette, la pauvreté du sol, l'incurie de l'État et la guerre qui vide les campagnes. Tout cela menace perpétuellement l'équilibre précaire que chaque homme construit péniblement contre la faim et la misère ; face à cette dure réalité, chaque être révèle sa nature, ce qui nous vaut une étonnante galerie de personnages : il y a les faibles, les vaincus, les sournois qui rusent, les rapaces chez lesquels le souci de survivre corrompt toute humanité, les aristocrates dont la misère n'altère pas la générosité, et chez tous il y a une force compacte, une causticité amère, une économie de gestes et de mots que la langue de Fenoglio rend admirablement. Mais parfois le masque craque et la révolte explose dans des gestes spectaculaires : c'est le défi de Pietro Gallesio qui se barricade dans sa ferme, mobilisant une compagnie de gendarmes (Un jour de feu), ou l'esclandre d'un ancêtre de Fenoglio qui, de retour du front, insulte les bourgeois d'Albe, embusqués dans leurs cafés tout en ors et en glaces (Un Fenoglio alla Prima Guerra mondiale).

Dépassant le naturalisme un peu fruste dont il est parti, le travail de Fenoglio s'ancre dans la conviction que n'importe quel coin de terre nous dit la vérité du monde pour peu qu'on l'aime et qu'on sache l'observer avec attention ; à la source de ce lien si profond avec les Langhe, il y a aussi le sentiment d'une telle solidarité de sang que la recherche de son identité passe pour l'écrivain par la compréhension de sa terre tout comme la recherche d'un style passe par l'aptitude à rendre la parole sèche et avare des paysans langaroli.

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III

Classification

Autres références

  • ITALIE - Langue et littérature

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    • 28 416 mots
    • 20 médias
    Beppe Fenoglio (1922-1963) consacre l’essentiel de sa production narrative à l’expérience de la résistance. Après les nouvelles réunies dans ventitrègiornidellacittà di Alba (1952), Fenoglio publie le court roman La malora (1954), un parfait exemple de prose néoréaliste. Par la suite,...