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BĀḲĪ MAḤMŪD ‘ABD UL-BĀḲĪ dit (1526-1600)

Considéré comme le « sultan des poètes », Bāḳī porta à son point de perfection la poésie turque classique. Poète de Cour et de tradition savante, il nous apparaît plutôt comme un virtuose extraordinaire que comme un grand inspiré. Mais il a su, dans le cadre artificiel que lui imposaient son époque et son milieu, parvenir aux plus hauts sommets du raffinement esthétique et intellectuel.

La jeunesse

Né à Istanbul, fils d'un modeste muezzin, Bāḳī eut une enfance pauvre et fut placé comme apprenti chez un sellier. Il manifesta dès sa jeunesse un goût très vif pour la poésie et attira l'attention des lettrés qui fréquentaient la boutique de son patron. Aussi put-il bénéficier de l'enseignement des écoles coraniques, où les étudiants sans ressources étaient instruits et hébergés aux frais des fondations pieuses. Ce système permettait, dans l'Empire ottoman (et, plus généralement, dans les États musulmans), l'accès des enfants d'humble origine à la plus haute culture traditionnelle.

Les études, destinées à former des docteurs de l'islam, ne se limitaient pas à la religion et au droit musulmans. Elles portaient aussi sur les langues arabe et persane et sur la littérature « classique », où la poésie savante jouait un rôle prédominant. Bāḳī put donc, tout en poursuivant sa formation théologique et juridique et en se préparant ainsi à une brillante carrière dans la hiérarchie des ulémas, acquérir une vaste et profonde culture poétique et donner libre cours à sa vocation.

Il n'y avait, dans la société ottomane, aucune contradiction entre les fonctions religieuses et l'exercice de la poésie, fût-elle d'allure érotique ou bachique. Une convention déjà séculaire, héritée de la tradition persane et diligemment entretenue par les lettrés ottomans, avait en effet systématisé l'interprétation mystique des chants sur l'amour et le vin, ainsi que l'expression de l'élan vers Dieu et des transes du croyant à travers des symboles empruntés au langage de la passion pour les éphèbes et de l'ivresse éthylique. D'où le caractère bien souvent ambigu d'une poésie dont il n'est pas aisé de savoir si elle est profondément religieuse avec une symbolique érotico-bachique, ou si le mysticisme islamique – réalité incontestable et encore bien vivante – n'y sert pas de prétexte pour chanter impunément des plaisirs interdits par les lois coraniques, mais auxquels une partie de la classe dirigeante ne renonçait pas pour autant, non plus que la plupart des souverains.

Cette ambiguïté de l'inspiration apparaît dès les premières œuvres de Bāḳī, composées avant sa vingtième année, alors qu'il étudiait encore. Il était très difficile de renouveler de façon appréciable les genres de la poésie ottomane savante. D'une part, elle était astreinte à des règles formelles aussi complexes que rigides : comme la poésie gréco-latine, elle était fondée sur une métrique opposant les syllabes longues aux brèves, avec des schémas fixes pour les divers types de vers et de strophes ; de plus, elle était rimée selon des lois exigeantes. D'autre part, ses sujets étaient bien délimités par la tradition, et il n'était pas question pour le poète de se laisser aller à la fantaisie de ses pensées ou de ses goûts : eût-il, par exemple, été un musulman sincère mais sans exaltation, aimant une femme et s'abstenant de toute boisson fermentée, qu'il devait quand même, sous peine de n'être pas considéré comme un poète vraiment lettré, chanter les délices et les angoisses de la communion mystique, s'extasier sur les beautés d'un éphèbe et lui déclarer un fol amour, vanter les vertus du vin et les joies de l'ivresse. Restait un seul domaine où un poète de talent pouvait affirmer sa personnalité et s'affranchir de toute imitation étroite : celui du style.[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III

Classification

Pour citer cet article

Louis BAZIN. BĀḲĪ MAḤMŪD ‘ABD UL-BĀḲĪ dit (1526-1600) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • TURQUIE

    • Écrit par Michel BOZDÉMIR, Universalis, Ali KAZANCIGIL, Robert MANTRAN, Élise MASSICARD, Jean-François PÉROUSE
    • 37 012 mots
    • 22 médias
    La littérature fastueuse du xvie siècle impose sa langue et son esthétique élaborée grâce à des poètes prestigieux. C'est ainsi que Bāḳī (1526-1600), honoré du titre de Sultan des poètes, étendit sa renommée au-delà des frontières de l'Empire alors à son apogée. L'orgueilleuse poésie de Bāḳī...

Voir aussi