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MARVELL ANDREW (1621-1678)

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Puritanisme et lyrisme

Les satires de Marvell n'ont d'intérêt que pour l'histoire politique et littéraire. Ses éloges de Cromwell lancent des gerbes d'hyperboles, mais leur force oratoire se pénètre d'émotion vraie dans l'évocation vécue de la mort. Le lyrisme sobre et dense de l'Ode horatienne élève le thème politique au diapason de la plus haute poésie. Dans l'œuvre lyrique – d'inspiration amoureuse, pastorale ou religieuse – chatoient les nuances d'une sensibilité à la fois frivole et grave, ironique et passionnée. Une fantaisie «   baroque » ou « précieuse » se joue à travers la réflexion philosophique, et l'urbanité s'allie à l'austérité jusqu'en ce Dialogue entre l'âme résolue et le plaisir créé qui reprend sur des pensers puritains les cadences, le ton, le style des poètes cavaliers.

Certains critiques, à force d'érudition et de subtilité, découvrent dans ces poèmes de multiples significations, y font entrer le platonisme, l'hermétisme, le cartésianisme. C'est faire violence à des chefs-d'œuvre délicats. La poésie de Marvell, pour n'être point philosophique, n'en est pas moins riche en résonances morales, intellectuelles, religieuses. Ce puritain pénétré de culture latine est citoyen de trois mondes : le biblique, l'ancien et le moderne. Le conceit introduit la pensée sérieuse au cœur même du divertissement pastoral. La description idyllique du manoir de Fairfax, Appleton House, devient une libre méditation, ingénieuse et variée, qui touche à l'histoire, ancienne ou contemporaine, ecclésiastique et civile, à l'Écriture et à la foi chrétienne, à la philosophie morale et naturelle. Ici, et en d'autres poèmes – le Jardin et la Nymphe pleurant la mort de son faon –, l'enrichissement du thème par les allusions, les images et les échos donne à une poésie élégante et artificielle la densité d'expérience, la multiplicité de perspectives qui distinguent la poésie «   métaphysique ».

Marvell, comme John Donne, se met volontiers « en situation », présente un moment d'expérience qui tire de sa singularité dans le temps et l'espace toute son intensité. Mais il n'a pas l'intuition d'une éternité qui serait la profondeur du présent : le temps est senti comme un écoulement. S'efforçant de l'accélérer (À sa prude maîtresse) ou de l'alentir (Le Jardin), il se donne l'impression d'en maîtriser le cours ou l'illusion de le suspendre. De même, si son imagination se joue sur fond de monde, comme dans La Définition de l'amour, c'est à la manière des « précieux » : l'univers est un décor qui rehausse le paradoxe d'une impossible passion. Cependant, ce poète eut une intuition originale de la présence intérieure du monde en l'esprit – l'esprit qui n'a pas seulement la faculté de réfléchir et de créer, mais aussi d'anéantir : « Ne laissant subsister de la Création / Qu'une verte Pensée au sein d'une ombre verte. » Donne s'apparaît à lui-même comme « un cœur mis à nu et qui pense » ; Marvell aime à saisir son existence au moment où son « esprit », miroir d'un monde contemplé, devient l'objet même de sa contemplation.

Chez ce puritain platonisant se découvre une sensibilité aux valeurs esthétiques qui n'est point si singulière puisqu'on la rencontre chez Edmund Spenser et chez le jeune Milton. Le désir d'une pureté idéale n'abolit pas l'exigence d'une satisfaction sensuelle. Ce poète a deux faces. L'une est l'épicurisme, le naturisme, toujours discret mais toujours présent dans l'évocation profane du Jardin, mais aussi dans l'évocation « biblique » des Bermudes, ces îles fortunées[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Pour citer cet article

Robert ELLRODT. MARVELL ANDREW (1621-1678) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009