Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ABD EL-KRIM (1882-1963)

Un initiateur

Quel est le rôle historique d'Abd el-Krim et son exacte personnalité ? La propagande des autorités du protectorat s'attachait à le dépeindre comme un de ces nombreux roguis (prétendants) surgis au Maroc, à l'image de Bou Hamara, qui, dans ce même Rif, quelques années auparavant, s'était dressé contre le makhzen. S'il ne fut pas le simple rebelle fanatique et ignorant, xénophobe et ne représentant que des aspirations tribales parées d'oripeaux démocratiques, fut-il, comme l'affirmaient ses partisans, le Mustapha Kemal du Maghreb qui aurait pu faire d'Ajdir l'Ankara de l'Ouest ? Pour P. Montagne, il « représente authentiquement le vieux Maroc des tribus », et « les résistances acharnées qu'oppose l'Islam traditionnel à l'influence de l'Occident ». Il est avant tout un homme du passé, un « primitif » de la révolte. D'autres, tel Pessah Shinar, sont sensibles à son modernisme, à ce qu'il apporte « de neuf dans les annales politico-religieuses du Maghreb : la première manifestation d'un nationalisme arabo-berbère militant et d'un modernisme islamique dans un environnement purement berbère ».

Au Maroc, le soulèvement d'Abd el-Krim eut une influence considérable. Il mit un terme au « lyautéisme » et, malgré les craintes et les réticences d'une large partie de la bourgeoisie, donna aux Marocains un héros national.

Le retentissement de son action s'étendit du Maroc à la Tunisie et atteignit l'Orient, traversé par la crise de l'après-guerre, ébranlé par la chute du califat et la montée du nationalisme.

La guerre du Rif servira de modèle aux mouvements d'indépendance d'autres pays colonisés. Hô Chi Minh, glorifiant en Abd el-Krim le « précurseur », reconnaît tout ce que les révoltes armées doivent à ce modèle de résistance : action étendue et simultanée pour empêcher la concentration ennemie, mise en condition de la population, recours aux initiatives diplomatiques diverses, appel à l'opinion publique, formation de comités de soutien...

Dans les années 1980, le rôle d'Abd el-Krim dans les origines de la guerre du Rif fut remis en cause. Il aurait plus suivi le mouvement qu'il ne l'aurait créé ou animé. Son attitude aurait été de « compromis, voire de complicité avec l'envahisseur » (Ayache). Ces jugements relancèrent le débat sur l'action du chef rifain. Il opposa les défenseurs de l'image d'un héros, dès l'enfance promis à son destin de résistant, « constamment inflexible dans ses convictions et son anti-impérialisme » (Ameziane) aux tenants d'un personnage plus complexe, d'abord « loyal serviteur de la cause espagnole », puis s'engageant tour à tour dans des « options différentes, sinon franchement contraires », pour finalement, habilement, capter à son profit un courant qui « était créé et existait sans lui » (Ayache).

Le recul manque encore, et la sérénité des passions apaisées, pour que l'histoire porte un avis impartial sur un homme qui, quoi qu'on puisse penser de sa personnalité, réalité et mythe, marqua l'histoire de son époque : Abd el-Krim, sans conteste un des promoteurs du nationalisme maghrébin, a été également l'un des théoriciens de la lutte armée pour la libération.

— Jean-Louis MIÈGE

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Jean-Louis MIÈGE. ABD EL-KRIM (1882-1963) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Abd el-Krim - crédits : Alfonso Junr/ Getty Images

Abd el-Krim

La défense de Tétouan - crédits : Topical Press Agency/ Hulton Archive/ Getty Images

La défense de Tétouan

Guerre du Rif - crédits : Topical Press Agency/ Getty Images

Guerre du Rif

Autres références

  • MAROC

    • Écrit par Raffaele CATTEDRA, Myriam CATUSSE, Universalis, Fernand JOLY, Luis MARTINEZ, Jean-Louis MIÈGE
    • 20 360 mots
    • 22 médias
    ...traduisaient par des mouvements sociaux et politiques. L'opposition de la domination européenne allait provoquer la révolte des masses paysannes (révolte d' Abd el-Krim, 1921-1926), relayées à partir des années trente par les nouvelles élites urbaines, avant que n'entrent en scène, après la Seconde Guerre mondiale,...

Voir aussi