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ULYSSE, James Joyce Fiche de lecture

Ulysse, roman de la modernité

Dans ce livre qui a bouleversé au xxe siècle les lois du roman, Joyce accomplit un travail stylistique prodigieux : non seulement chaque épisode est rédigé selon un code rhétorique différent, mais l'écriture s'affranchit progressivement du sujet traité pour devenir son propre objet, à l'image du monologue final de Molly, constitué de huit phrases sans ponctuation, courant sur 38 pages et se concluant sur un orgasmique « oui ». Là, pour l'une des premières fois dans la littérature mondiale, un personnage se construit uniquement en parlant : « ...il m'a demandé si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d'abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l'ai attiré sur moi pour qu'il sente mes seins tous parfumés oui et son cœur battait comme fou et oui j'ai dit oui je veux bien Oui. »

De même, le fragile instant urbain (une journée à Dublin) se voit inséré au sein d'une trame encyclopédique qui l'ouvre sur l'universel et le permanent. Selon un schéma hérité de la scolastique médiévale, Joyce élabore un réseau de correspondances : à chaque épisode ou personnage se voient associés heures, couleurs, arts, techniques, symboles, organes. Ainsi, tout autant somme des formes du savoir que parodie de la compulsion encyclopédique, Ulysse procède, comme le fit remarquer l'écrivain autrichien Hermann Broch (1886-1951), d'une contrainte inhérente au langage, qui « force à exprimer la juxtaposition par une succession, l'événement unique par la répétition ». Cette exigence de simultanéité, pour exprimer la totalité de la vie, fut reprise par nombre d'écrivains, tels Virginia Woolf, dans Mrs Dalloway (1925) ou John Dos Passos, avec son polyphonique Manhattan Transfer, publié la même année. Ils s'inspirèrent également de sa célébration de la ville : de Dublin, Joyce disait que si elle venait à disparaître on pourrait la reconstruire grâce à son Ulysse. De fait, la topographie, avec ses lieux réels, fonctionne en contrepoint des fantasmagories suscitées par la déambulation des personnages.

Ulysse, c'est aussi une épopée du corps humain, comme dans cet épisode tout entier construit autour du thème de la digestion, où les bouches monstrueuses des clients d'un restaurant évoquent les Lestrygons cannibales d'Homère. Au quatrième chapitre, l'entrée en scène de Bloom, « homme moyen sensuel », rééquilibre le narcissisme de Stephen Dedalus, intellectuel coupé des autres et de son corps. Surprise dans les occasions les plus triviales, l'intimité de la conscience se voit rendue à la faveur de monologues intérieurs, technique inaugurée par l'écrivain français Edouard Dujardin, dans Les Lauriers sont coupés (1887). À l'image des difficultés rencontrées encore aujourd'hui pour établir un texte qui soit conforme aux intentions exprimées par Joyce, la nouveauté radicale d'Ulysse n'a pas fini de solliciter ses lecteurs.

— Marc PORÉE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Marc PORÉE. ULYSSE, James Joyce - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

James Joyce - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

James Joyce

Autres références

  • BEACH SYLVIA (1887-1962)

    • Écrit par Universalis
    • 607 mots

    Sylvia Beach fut, avec Adrienne Monnier, l'une des grandes figures de la vie littéraire parisienne, en particulier dans les années 1920, lorsque sa librairie offrait aux écrivains expatriés un lieu de rencontre et accueillait les auteurs français qui découvraient un nouveau continent, la littérature...

  • JOYCE JAMES (1882-1941)

    • Écrit par Jean-Jacques MAYOUX
    • 7 706 mots
    • 1 média
    Vers 1913, Joyce commençait Ulysse. Tandis que, dans Dedalus encore, la distance ou l'angle d'ironie entre Joyce et le personnage qui est son image sont peu perceptibles, il en est autrement d'Ulysse  ; Joyce est désormais assez mûr pour se voir double : non pas le fils seulement et...
  • MONOLOGUE INTÉRIEUR

    • Écrit par Bernard CROQUETTE
    • 1 031 mots
    • 1 média

    Technique littéraire qui a joué un rôle important dans le renouvellement du roman au xxe siècle. Rendu fameux par l'usage magistral qu'en a fait James Joyce dans Ulysse (1922), le monologue intérieur (l'expression, dans son sens actuel, a été introduite par Valery Larbaud) a immédiatement...

  • MONOLOGUE, notion de

    • Écrit par Christophe TRIAU
    • 1 411 mots
    ...Édouard Dujardin (Les Lauriers sont coupés, 1887 ; Le Monologue intérieur, 1931), il trouve ses incarnations les plus marquantes chez des auteurs comme James Joyce (monologue de Molly Bloom dans Ulysse, 1922), Virginia Woolf ou William Faulkner (Le Bruit et la fureur, 1929 ; Tandis que j'agonise...

Voir aussi