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RACISME

Motivations psychiques et sociales

Quoi qu'il en soit de l'extension du racisme, la généralité des conduites qu'il engendre à travers de nombreux groupes sociaux et la ténacité des opinions et des attitudes qu'il suscite prouveraient déjà qu'elles répondent à des motivations similaires, individuelles et collectives, puisqu'il existe un racisme tant individuel que collectif. Autrement dit, il faut rechercher les fonctions psychiques et sociales du racisme.

L' agression contre autrui, en actes ou en paroles, a besoin d'être légitimée. Il semble possible de le faire pour deux raisons : la peur et l'intérêt.

La peur de l' Autre vient du fond des âges, de l'époque où il fallait vivre dans la méfiance, faute de quoi un Autre, plus fort ou plus rusé, pouvait vous enlever la proie ou la femme convoitée, vous condamner à la faim ou à l'humiliation, ou même à la mort. L'Autre, c'est l'inconnu, duquel tout peut arriver, mais surtout le pire.

Le passage au racisme est clair : il faut se défendre contre cet Autre, étrange, étranger, ou, mieux encore, prévenir ses attaques en attaquant avant lui. Et, si son existence est nocive, il doit être mauvais en lui-même et l'on est justifié à le haïr. Devant cette peur de l'Autre, le racisme explique et rassure, il excuse et légitime l'agression.

La conduite raciste se traduit en somme par deux mouvements complémentaires : refuser l'Autre et s'affirmer soi-même, qui aboutissent au même résultat : se fortifier contre l'Autre. Si l'on utilise le vocabulaire psychanalytique, on dira que le racisme permet d'affermir le moi, individuel et collectif. Ceci sera fait, fallacieusement sans doute, provisoirement peut-être, au prix d'une injustice certes, mais, en ce domaine, le besoin est tel que la morale s'incline et le mythe triomphe aisément.

Le même mécanisme existe, motivé cette fois par l'intérêt : agression, utilisation quasi mythique d'une différence (vraie ou fausse) biologique ou autre comme justification de cette agression.

Le racisme fut l'idéologie de la traite des Noirs et de la colonisation naissante. L'argument biologique fut utilisé pour la première fois systématiquement par les nobles espagnols dans leur lutte contre les Juifs convertis au christianisme et qui avaient gagné ainsi là des droits égaux aux leurs ; une insurmontable différence de « sang » fut leur dernière trouvaille pour contester cette acquisition. Cette idée sera reprise par les nazis pour justifier l'expansion allemande. Le capitalisme naissant ayant besoin d'utiliser la main-d'œuvre ouvrière comme du bétail, il fallait bien qu'elle fût considérée comme telle. Le commerçant, le médecin ou l'avocat des sociétés libérales, qui a une conduite raciste ou antisémite, défend ses propres intérêts avec une telle argumentation contre des concurrents noirs ou juifs qui le gênent.

Il n'y a d'ailleurs pas de contradiction entre les deux motivations et elles sont très souvent mêlées. Pourquoi le citoyen suisse ou français actuel, de condition moyenne ou modeste, est-il si souvent raciste à l'égard des travailleurs étrangers qui viennent pourtant remplir un rôle indispensable à l'économie de son pays ? Parce qu'il a peur, ce citoyen est obscurément saisi d'angoisse devant tant d'hommes différents de lui, qui risquent d'ébranler les structures de l'édifice social auquel il est attaché. Il sait bien, par ailleurs, que les travaux les plus pénibles, souvent mal payés, dotés d'avantages sociaux plus ou moins discutés, sont dorénavant le lot des immigrés. Par contrecoup, il lui faut légitimer ses privilèges, limités certes mais réels tout de même.

Une telle attitude explique les derniers caractères du racisme : la tendance à la[...]

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Écrit par

  • : professeur de sociologie à l'université de Paris-X

Classification

Pour citer cet article

Albert MEMMI. RACISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Mentalités et pratiques coloniales - crédits : Encyclopædia Universalis France

Mentalités et pratiques coloniales

Les « quatre races d'hommes » - crédits : Editions Belin, 1877

Les « quatre races d'hommes »

Racisme nazi - crédits : Henry Guttmann/ Hulton Archive/ Getty Images

Racisme nazi

Autres références

  • LA COULEUR ET LE SANG, DOCTRINES RACISTES À LA FRANÇAISE (P.-A. Taguieff)

    • Écrit par René MONZAT
    • 1 366 mots

    L'étude comparée des itinéraires de Joseph Arthur de Gobineau (1816-1882), de Gustave Le Bon (1841-1931) et de Georges Vacher de Lapouge (1854-1936) permet à Pierre-André Taguieff, dans un opuscule intitulé La Couleur et le sang paru en 1998 aux éditions Mille et Une Nuits dans la collection...

  • AFRIQUE AUSTRALE

    • Écrit par Jeanne VIVET
    • 6 100 mots
    • 5 médias
    ...en profusion des ressources minières et notamment aurifères. Plusieurs d’entre eux ont aussi en commun d’avoir connu des régimes ségrégationnistes et racistes. La séparation raciale trouve d'ailleurs son origine dans l’organisation spatiale des mines qui ont donné naissance à la création de quartiers...
  • AFRO-AMÉRICAIN CINÉMA

    • Écrit par Raphaël BASSAN
    • 6 876 mots
    • 3 médias
    C’est pour répondre à Naissance d’une nation (Birth of a Nation, 1915), évocation de la guerre de Sécession et de ses lendemains, où David Wark Griffith justifie la création du Ku Klux Klan, que le premier mouvement de cinéma indépendant noir voit le jour. Auparavant, dès 1910, William Jones...
  • ANDERSON BENEDICT (1936-2015)

    • Écrit par Universalis
    • 1 202 mots

    L’historien et politologue irlandais Benedict Anderson tient une place importante dans l’historiographie anglo-saxonne pour ses travaux sur les origines du nationalisme.

    Benedict Richard O’Gorman Anderson est né le 26 août 1936 à Kunming, dans le sud de la Chine, où son père occupe un poste au Bureau...

  • ANNEXES - DE L'ŒUVRE D'ART (J.-C. Lebensztejn) - Fiche de lecture

    • Écrit par Gilles A. TIBERGHIEN
    • 972 mots

    Les éditionsLa Part de l'Œil, ont eu l'heureuse idée de publier, en 1999, dans la collection « Théorie », un recueil de textes de Jean-Claude Lebensztejn. Ces Annexes caractérisent bien la manière de Lebensztejn, car même ses grands livres – L'Art de la tache (éditions...

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Voir aussi