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OGMIOS, irl. OGME

La divinité gauloise Ogmios est décrite, par une rare exception et avec une précision remarquable, par un auteur grec du iie siècle, Lucien de Samosate : « Dans leur langue maternelle, les Celtes appellent Héraklès Ogmios et ils le représentent sous une forme singulière. C'est un vieillard très avancé dont le devant de la tête est chauve ; les cheveux qui lui restent sont tout à fait blancs : la peau est rugueuse, brûlée jusqu'à être tannée comme celles des vieux marins ; on pourrait le prendre pour un Charon ou un Japhet des demeures souterraines du Tartare, pour tout enfin plutôt qu'Héraklès ; il porte suspendue la peau de lion et il tient dans sa main droite la massue ; le carquois est fixé à ses épaules, la main gauche présente un arc tendu : ce sont tous les détails d'Héraklès [...]. Cet Héraklès vieillard attire un grand nombre d'hommes attachés par les oreilles et ayant pour liens des chaînettes d'or et d'ambre qui ressemblent à de très beaux colliers. En dépit de leurs faibles liens, ils n'essayent pas de fuir, bien que cela leur soit facile ; loin de résister, de se raidir et de se renverser en arrière, ils suivent tous, gais et contents, leur conducteur, le couvrant de louanges, cherchant tous à l'atteindre et, en voulant le devancer, desserrent la corde comme s'ils étaient étonnés de se voir délivrés. » Lucien de Samosate précise que les chaînes relient les oreilles des dévots à la langue du dieu et que les Gaulois entendent symboliser ainsi l'éloquence.

Chez les Celtes continentaux, le nom d'Ogmios apparaît aussi dans quelques defixiones, ou tablettes d'exécration (à Bregenz), ce qui confirme son rôle de dieu lieur. Mais il n'est cité nulle part ailleurs dans l'épigraphie gallo-romaine, la pax romana l'ayant fait disparaître en tant que divinité majeure. Son aspect d'Héraklès correspond bien à la conception celtique de la guerre, qui est celle de l'exploit et du combat singulier (cf. le rôle de Cuchulainn dans l'épopée irlandaise). L'Irlande lui attribue, outre l'éloquence, l'écriture.

L'Ogme irlandais est le trenfer, « homme fort » ou « champion », frère du Dagda et inventeur de l'écriture magique qui porte son nom, les ogam. Il joue un rôle assez effacé dans le récit du Cath Maighe Tuireadh, ou « Bataille de Moytura », mais il est mieux caractérisé dans le cycle du Tochmarc Étaine ou « Courtise d'Étain », où il se nomme Elcmar, « Grand Envieux », ou « Méchant ». Ce dieu de la guerre est dépeint sous les traits d'un poltron, ce qui n'est pas sans rappeler certaines attitudes de l'Arès grec. Le symbolisme en tout cas est normal : Ogme est le côté sombre de la divinité souveraine dont le Dagda est la partie claire. L'épopée irlandaise décrit parfois un héros porteur de la lance sanglante et empoisonnée, précédée du chaudron (prototype ou ancêtre du Graal des légendes arthuriennes) rempli de sang et d'un venin dans lequel on doit plonger celle-ci pour l'empêcher de tuer ceux qui l'entourent. Le visage de ce héros est biparti : aimable et souriant à droite, sombre et menaçant à gauche. Sous le nom de Celtchar, « le rusé », personnage du cycle d'Ulster, apparaît enfin l'avatar du dieu géniteur qui, blessé au haut de la cuisse, a perdu sa virilité et n'engendre plus ni fils ni fille. Ce trait est encore conforme à l'expression du symbolisme.

Dieu redoutable et sans nom, parce que l'on n'osait pas le nommer, Ogmios est désigné d'un qualificatif d'origine grecque attaché à son rôle de « conducteur » des morts : ogmos ; « chemin ». Le théonyme irlandais ne s'explique pas davantage par le gaélique : on ne peut en rendre compte qu'en lui supposant la même origine que celle du gaulois[...]

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Pour citer cet article

Christian-Joseph GUYONVARC'H. OGMIOS, irl. OGME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DAGDA

    • Écrit par Christian-Joseph GUYONVARC'H
    • 463 mots

    Le dieu celtique Dagda porte quatre noms ou surnoms dans la mythologie irlandaise : Dagda (« dieu bon »), Eochaid (ivo-katu-s, « qu i combat par l'if », par allusion aux usages magiques de ce bois), Ollathir (« père puissant ») et Ruadh Rofhessa ( « rouge de la grande science »). Il correspond...

  • DRUIDES

    • Écrit par Christian-Joseph GUYONVARC'H
    • 2 394 mots
    • 1 média
    ...par rapport à la parole, elle est morte et fixe éternellement ce qu'elle exprime. Tous ses emplois sont magiques ou incantatoires et, pour cette raison, le dieu de l'Écriture, Ogme, est aussi le dieu sombre, le patron de la guerre et de la magie (il a donné son nom à l'écriture irlandaise traditionnelle,...

Voir aussi