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COLPORTAGE LITTÉRATURE DE

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Triomphe, mort et transfiguration du colportage

Au xixe siècle, le développement rapide de la librairie (système des représentants, des commis, puis des grossistes) exclut les colporteurs de la ville, ou limite leur rôle à la criée des journaux et des images satiriques. En revanche, on assiste à une considérable expansion du colportage dans les campagnes, là où une librairie ne serait pas rentable mais où existe, malgré tout, une demande potentielle. Cette expansion correspond à un double besoin, que reflète la loi Guizot sur l'enseignement primaire en 1834 : celui des masses paysannes qui ont soif de culture et celui de la bourgeoisie industrielle qui doit disposer, pour manier des machines de plus en plus complexes et coûteuses, d'une main-d'œuvre qualifiée ou susceptible de se qualifier, donc sachant lire et écrire. Toutefois, cette bourgeoisie, que trois révolutions ont rendue méfiante, surveille de fort près les publications à bas prix qui s'adressent au peuple, censure qui se maintient et s'intensifie de la Restauration à la fin du second Empire, dans l'esprit de la loi Falloux (1849), et dont les critères se définissent avec clarté dans la classique Histoire des livrets populaires de Charles Nisard (2e édition augmentée en 1862). Le répertoire reste essentiellement le même : vies de saints, prières, cantiques, romans édifiants, fictions inusables comme Jean de Calais ou Fortunatus, contes de fées : c'est l'époque de « l'explosion » des éditions de Perrault, qui sont reprises par l'imagerie d'Épinal. Il faut noter aussi que le secteur des abécédaires, des manuels éducatifs concernant la santé, l'agriculture, les métiers manuels est en pleine expansion.

Le colporteur présente et vend ses produits au cours de deux tournées, l'une au printemps et l'autre à l'automne, toujours dans la même région qu'il quadrille jusqu'au moindre village ou hameau, grâce à un réseau de relations amicales et commerciales. Mais le progrès des communications et de la poste, la presse à bon marché et ses feuilletons, le désir et l'habitude d'une information plus rapide ont vite fait de périmer à la fin du siècle les visites trop espacées du colporteur.

La diffusion par millions d'exemplaires, et surtout le succès de cette production, sur plus de trois siècles, montre qu'on ne saurait la réduire aux dimensions d'une « littérature octroyée ». Les éditeurs, sans doute, respectent et intériorisent les consignes de la Contre-Réforme et du pouvoir. Mais ils sont obligés aussi, ne serait-ce que pour vendre plus, de tenir compte des intérêts du grand public, de ses curiosités nouvelles, de ses aspirations à la justice, données aussi importantes que ses possibilités intellectuelles ou matérielles. Par ce biais, l'histoire de la littérature de colportage est instructive et préfigure quelques orientations fondamentales de l'édition d'aujourd'hui :

– volonté d'atteindre un public de plus en plus large, de créer de nouveaux lecteurs en augmentant les tirages, en abaissant les prix et en cherchant de nouveaux sujets ;

– décision d'amener le livre à son lecteur, sans attendre que ce soit lui qui vienne au livre (foires et salons du livre, bibliobus) ;

– politique de diversification des titres, qui tient compte de l'existence de plusieurs types de lecture correspondant aux divers âges et aux diverses possibilités du public (livres à consulter, livres d'identification, livres pour lecteurs rapides, pour lecteurs lents, pour « piètres lecteurs », pour non-lecteurs). Une production qui préfigure la littérature que les éditeurs de notre fin de siècle destinent aux analphabètes « de retour » ou aux illettrés que produisent notre système scolaire et notre société : bandes dessinées bâclées et racistes, romans-photos, dessins animés[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur émérite à l'université de Paris-VII-Jussieu

Classification

Pour citer cet article

Marc SORIANO. COLPORTAGE LITTÉRATURE DE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • COMPLAINTE, genre littéraire

    • Écrit par
    • 306 mots

    Genre de la poésie populaire, la complainte est destinée à relater les malheurs d'un personnage dont les faits et gestes sont mémorables. Elle est chantée sur un air connu ou récitée sur un ton incantatoire, ce qui explique le nombre élevé d'élisions et de liaisons marquées, ainsi que l'emploi fréquent...

  • CONTES DE MA MÈRE L'OYE

    • Écrit par
    • 808 mots

    Au xviie siècle, cette expression, comme celle de contes de Peau d'Âne, est synonyme de contes de fées. Le titre d'un conte particulièrement connu (ici, celui de Berthe au grand pied, autrement dit celui de La Reine Pédauque, pourvue, comme son nom l'indique, de pattes d'oie) sert...

  • DIME NOVEL, littérature

    • Écrit par
    • 294 mots

    Prendre quelques écrivains mineurs très prolifiques, beaucoup de papier recyclé, choisir des titres évocateurs, imprimer des couvertures illustrées d'images simples qui parlent au cœur en harmonie avec le contenu sentimental ou mélodramatique du texte et vendre ces romans chez l'épicier du coin...

  • ILLUSTRATION

    • Écrit par et
    • 9 135 mots
    • 11 médias
    ...va exploiter ces nouvelles habitudes éditoriales associées à la pratique du réemploi ; en effet, au moment où le gouvernement renforce le contrôle du colportage (janvier 1852), où l'extension du réseau des chemins de fer suscite de nouveaux modes de lecture populaire, ont lieu de nombreuses cessions...