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LAURENT JEANNE (1902-1989)

Jusqu'en 1959 (date de création d'un ministère chargé des Affaires culturelles et attribué à Malraux), le sous-secrétariat d'État des Beaux-Arts dépendit du ministère de l'Éducation nationale. Le théâtre y relevait d'une sous-direction des spectacles et de la musique. À la tête de cette sous-direction, se trouva placée en 1946 Jeanne Laurent.

Née le 7 mai 1902 à Cast (Finistère), Jeanne Laurent, archiviste-paléographe diplômée de l'École nationale des chartes, est entrée en 1939 au ministère de l'Éducation nationale comme rédacteur au bureau des monuments historiques, avant de devenir sous-chef à la Direction générale des beaux-arts, puis d'être nommée en 1946 sous-directrice des spectacles et de la musique. Là, donnant toute la mesure de son intelligence et de son énergie, elle impose la prise en compte de la culture pour la revitalisation du pays meurtri par la guerre, et lance la décentralisation théâtrale.

Il n'était alors théâtre que de Paris, et l'exemple de Copeau, abandonnant le Vieux-Colombier pour se replier sur Pernand, n'avait guère fait d'émules. Sans doute, pendant les années de l'Occupation, de jeunes troupes sans grands moyens avaient sillonné la province : la Compagnie des Comédiens routiers de Léon Chancerel, Regain de Christian Casadesus, La Roulotte de Jean Vilar. Mais la province n'en était pas moins privée, presque toute l'année, d'une vie culturelle. Pour la susciter, quoi de mieux que le théâtre ? Or de jeunes hommes aspiraient à y œuvrer. Il fallait les épauler grâce à une reconnaissance institutionnelle et une politique de soutien matériel et moral. Jeanne Laurent sut dégager l'argent nécessaire à cette action en associant à l'État la ville d'implantation. Elle écouta des élus locaux et des hommes de théâtre prêts à se lancer dans l'entreprise ; bien souvent aussi elle eut à encourager, à susciter, à déceler le plus apte.

Ainsi de Jean Vilar réticent, qu'elle convainquit de prendre en charge, en 1951, le Théâtre national populaire de Chaillot pour en faire un théâtre véritablement national et populaire, le T.N.P. De 1946 à 1952, Jeanne Laurent crée en Alsace le Centre dramatique de l'Est, soutenu par un syndicat intercommunal et confié à Roland Piétri ; la Comédie de Saint-Étienne, qui institutionnalise l'action commencée à Grenoble par Jean Dasté ; le Grenier de Toulouse, qui tient compte d'une initiative du très jeune Maurice Sarrazin ; la Comédie de l'Ouest, issue d'une troupe d'amateurs de Rennes et confiée à Hubert Gignoux ; le Centre dramatique national du Sud-Est que Gaston Baty, dernier survivant du Cartel, souhaite implanter à Aix-en-Provence.

Une action aussi neuve qui faisait de Jeanne Laurent « la fondatrice de la politique culturelle moderne » (ainsi que l'a définie Jack Lang) lui suscitèrent beaucoup d'ennemis dans les milieux parisiens influents. Limogée en 1952, privée de responsabilités, mise « au placard » à la sous-direction du service universitaire des relations avec l'étranger et l'outre-mer, Jeanne Laurent garda néanmoins le contact avec ceux qu'elle avait aidés et avec leurs émules, qu'elle soutenait encore par son intérêt et par ses conseils. Ne se résignant pas au silence, elle continua à défendre dans ses livres (Arts et pouvoirs en France de 1793 à 1981 : histoire d'une dimension artistique, 1982) une politique dont les effets, après son départ, étaient suspendus : il n'y eut plus de création de centres dramatiques nationaux pendant huit ans. N'admettant ni les conformismes ni la sclérose des bureaucraties, elle continua de fréquenter les théâtres, pas toujours satisfaite du cours des choses, mais demeurant ouverte aux interrogations du moment.

— Raymonde TEMKINE[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de Regards et des revues Europe, Théâtre/Public, auteur d'essais sur le théâtre

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