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KLÜVER BILLY (1927-2004)

Il y a un cas Billy Klüver. Cherchez son nom dans quelque nomenclature ou catalogue d'exposition sur l'art du xxe siècle : vous ne le trouverez pas. Pourtant, Johan Wilhelm dit Billy Klüver, ingénieur suédois né à Monaco en 1927, a prêté la main à quelques-unes des créations les plus fortes de l'art moderne et contemporain, comme l'Hommage à New York (1960) de Jean Tinguely, œuvre éphémère, ou Oracle (1966) de Robert Rauschenberg, qui appartient aujourd'hui aux collections du Centre Georges-Pompidou. L'« ingénieur des artistes », comme on le nomma, avait travaillé à la mise au point de l'antenne de télévision de la tour Eiffel et à l'élaboration de caméras sous-marines pour la Calypso du commandant Cousteau : ne fut-il qu'un adjuvant au service des plasticiens de son temps ? L'affaire n'est pas si simple, et Rauschenberg parlait d'ailleurs plutôt de « collaboration » entre lui-même et Klüver.

Le goût qu'avait Billy Klüver pour la création artistique comme possibilité d'innovation et de renouvellement des modes de pensée lui était venu d'abord de sa passion pour le cinéma, comme on sait à la fois un art et une industrie (en 1950, il fondait la fédération des Sociétés cinématographiques de Suède), et ensuite de sa rencontre avec Pontus Hulten, historien de l'art, cinéphile et futur directeur du Moderna Museet de Stockholm. Après deux ans passés à Paris, où il rencontre Jean Tinguely, Billy Klüver s'installe aux États-Unis en 1953, où il travaille pour la compagnie des téléphones Bell. En 1960, Tinguely l'associe au « suicide » de sa machine auto-destructrice dans le jardin du Museum of Modern Art de New York. C'est pour Klüver une expérience décisive, dont il rend compte dans un texte intitulé « La Garden Party », ayant ainsi appris d'un artiste qu'une machine poétique et non fonctionnelle pouvait être une alternative à une société technocratique. L'année suivante, il est l’un des commissaires de l’exposition Art en mouvement au Moderna Museet de Stockholm.

Mais c’est avec l'artiste néo-dada américain Robert Rauschenberg, rencontré au moment de l'Hommage à New York, que Klüver réalise, en octobre 1966, son coup d'éclat : un spectacle intitulé Nine Evenings, Theater and Engineering, qui, dans l'esprit des happenings contemporains, fait intervenir tout ce que la scène artistique new-yorkaise comporte alors de meilleur en matière d'inventeurs de formes nouvelles, mêlant arts plastiques, musique, danse et nouvelles technologies – qu'ils se nomment John Cage, Lucinda Childs, Steve Paxton ou Öyvind Fahlström. Pour les artistes, l'ingénieur fait alors s'élever dans l'air des flocons de neige, ou sonorise des raquettes de tennis.

Si Joseph Beuys et les artistes de l'Arte povera utilisent au même moment l'énergie des matériaux pour leur valeur symbolique et alchimique, Billy Klüver préfère, comme Piotr Kowalski, qui travaille alors avec les ingénieurs du Massachusetts Institute of Technology de Boston, utiliser les pouvoirs de la technologie pour proposer au public des expériences réelles, spectaculaires et poétiques à la fois. Ainsi fait-il flotter les nuages argentés gonflés à l'hélium d'Andy Warhol (Silver Clouds, 1965-1966) après avoir conçu des lettres en néon portables (1963-1964) pour Jasper Johns. Billy Klüver n'avait pas son pareil pour capter, amplifier et transporter les énergies sonores et lumineuses de l'« infra-mince » duchampien : respiration d'une danseuse, bruits d'une performance, intensité lumineuse d'un néon.

Son rôle d'opérateur et son esprit d'entreprise le conduisent à créer, toujours en 1966, avec Fred Waldhauer, ingénieur comme lui chez Bell et avec les artistes Robert Rauschenberg et[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X-Nanterre

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Pour citer cet article

Thierry DUFRÊNE. KLÜVER BILLY (1927-2004) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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