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ELSHEIMER ADAM (1578-1610)

Le plus célèbre des peintres allemands du xviie siècle. Adam Elsheimer est, à vrai dire, un artiste dont le retentissement exceptionnel eut des dimensions supranationales. Par son langage du clair-obscur et la perfection de ses petits tableaux, il a avec Caravage (carrière fulgurante analogue arrêtée par une mort précoce, en 1610, pour l'un comme pour l'autre) un rôle déterminant dans l'élaboration d'une peinture d'histoire « moderne » dépassant le maniérisme et annonçant la grande manière du xviie siècle.

En apprentissage chez Philip Uffenbach à Francfort, entre 1593 et 1598, et par suite de la proximité du foyer artistique de Frankenthal, d'abord sous l'influence des paysagistes nordiques de fantaisie tels que Gillis Van Coninxloo et Mirou (d'où lui vient toute une partie de son inspiration sylvestre féerique et le goût des éclairages capricieux et pittoresques), Elsheimer passe ensuite en Italie en faisant un détour par Munich, pour rencontrer à Venise un autre Allemand, Hans Rottenhammer, avec lequel il collabore jusqu'en 1600 environ. Il manifeste alors une vive prédilection, qu'il partage avec Rottenhammer, pour les petits formats (presque toujours sur cuivre), les effets piquants, une facture soignée et menue. D'une poétique charmante, mais qui reste rassurante et limitée — somme toute d'essence décorative et maniériste —, sont les Prédication de saint Jean-Baptiste de Hambourg (env. 1598) et de Munich, aux sous-bois frankenthaliens, ou Le Repos pendant la fuite en Égypte de Berlin, marqué à la fois par Tintoret et par les délicats peintres de Parme dans la lignée de Corrège et de Parmesan.

La mutation à partir du séjour romain (1600) est brusque et peu explicable, mais le progrès est surprenant : désormais Elsheimer creuse davantage ses tableaux, gagne simultanément en monumentalité et en expressivité, abandonne et dépasse la superficialité maniériste, accède à une étonnante fusion entre figures et milieu ambiant ; l'union devient naturelle entre le paysage et l'action représentée, la nature et l'homme interfèrent et s'influencent réciproquement, comme on ne l'avait encore jamais vu dans la peinture : ces petits tableaux merveilleusement peints, renforcés par un clair-obscur chargé d'émotion et d'une surprenante efficacité plastique, deviennent autant d'événements humains d'une immense et nouvelle vérité. C'est seulement avec Elsheimer — parallèlement à Caravage, qui ne marque pas moins Elsheimer lui-même et toute la Rome des années 1600 — que la peinture devient un vrai langage narratif, une conquête et une affirmation sur le monde des apparences et permet enfin, notamment dans le domaine du paysage, l'expression d'états d'âme. Auparavant, seuls peut-être certains Vénitiens comme Giovanni Bellini et Giorgione avaient, mais de manière incomplète, atteint cette dimension moderne de la peinture. Il ne faut donc pas s'étonner si trois des plus grands noms de la peinture occidentale du xviie siècle, Rubens, Rembrandt et Claude Lorrain, sont directement tributaires d'Elsheimer. Brillante période, donc, que celle du séjour romain d'Elsheimer, qui dure tout juste dix ans, marquée par l'assimilation très personnelle du difficile message caravagesque (Elsheimer en usera pour parvenir à une grande peinture en petit format intimiste, bien adapté à la narration), par la mise au point parfaite d'un moyen d'expression aux pouvoirs inespérés comme le clair-obscur, par la naissance d'une conception nouvelle du paysage. Or Elsheimer, qui se marie en 1606, apparaît bien dans le milieu artistique romain comme un chercheur et un inventeur supérieurement doué, respecté et très admiré mais peu travailleur — Rubens le lui reprochait déjà — et d'un tempérament mélancolique et insatisfait qui sera aggravé par l'épisode[...]

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Écrit par

  • : conservateur des Musées nationaux, service d'études et de documentation, département des Peintures, musée du Louvre

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Média

<it>La Lapidation de saint Étienne</it>, A. Elsheimer - crédits :  Bridgeman Images

La Lapidation de saint Étienne, A. Elsheimer