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OBSTFELDER SIGBJØRN (1866-1900)

Un recueil de Poèmes (Digte, 1893), Deux Petites Nouvelles (To Novelletter, 1895), un drame, Les Gouttes rouges (De Røde Draaber, 1897) et un roman, Le Journal d'un pasteur (En Prest Dagbog, 1900) suffisent à faire de Sigbjørn Obstfelder le plus grand poète lyrique norvégien et l'un des génies les plus originaux que le Nord ait produits. Son œuvre représente un effort de synthèse, fond et forme, qui doit sans doute beaucoup au mouvement général de la fin du xixe siècle, à l'exemple français principalement (symbolisme, impressionnisme, décadentisme l'ont sollicité à plus d'un titre), mais il a su donner à ces impulsions extérieures une orientation générale, idéaliste si l'on veut, qui retrouve en dernière analyse les composantes inaliénables du génie scandinave. Hypersensible et malade (il mourra de tuberculose à trente-quatre ans), essentiellement tourné vers la musique et ses sortilèges, il témoigne également d'un art de visionnaire qui fait souvent de ses poèmes en prose — genre qu'il a introduit dans le Nord — de petits tableaux achevés, dans le genre, tantôt de Renoir, tantôt de Van Gogh, tantôt d'Odilon Redon dont l'inspiration paraît si fréquemment sœur de la sienne.

C'est que ce cœur à prendre, conscient de « s'être trompé de planète », nourrissait un rêve de transfiguration de la réalité et, à la limite, de refus du quotidien sordide, un élan d'amour mystique, un élan vers tous les possibles qui ou bien soulèvent la réalité au point de la libérer de toutes amarres et de n'en plus faire qu'une vaste offrande musicale, ou bien la refusent, la vilipendent dans une perspective qui fait étrangement songer, à l'avance, à Kafka. En sorte que les spectres de la solitude, de l'étrangeté, de l'absurde, de l'angoisse et de la mort le disputent sans cesse aux blandices de l'extase indicible, de l'amour fou, de l'étreinte mystique. Antagonisme tragique dont l'effet est trop connu. La nouvelle La Croix (Korset, 1896) souligne les conséquences désespérées d'un désir qui tend irrésistiblement à se porter sur « ce que l'on peut trouver d'immensément grand, de si extraordinaire que l'on ne peut se le représenter. »

Tant que la maladie n'a pu triompher de lui, il s'est sauvé de deux façons : d'abord en forçant le vers norvégien, impérieusement fixé pourtant par une tradition contraignante, à faire pressentir l'ineffable, au prix d'audaces qui ont définitivement ouvert la voie au modernisme, et l'on peut bien dire que, par là, il est parvenu à exploiter avec un rare bonheur les possibilités remarquables d'une langue naturellement musicale ; ensuite, en trouvant le moyen de projeter sur la grande nature primitive du Nord sa quête d'absolu. Par quoi cet inquiet débouche sur de splendides certitudes solaires ; en quoi ce valétudinaire a su faire de toute son œuvre un hymne pathétique à la vie.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. OBSTFELDER SIGBJØRN (1866-1900) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • NORVÈGE

    • Écrit par Marc AUCHET, Régis BOYER, Georges CHABOT, Universalis, Lucien MUSSET, Claude NORDMANN
    • 24 666 mots
    • 24 médias
    ...relativisme et du tout-puissant désir (le drame Balkongen, 1894, Le Balcon) ; par les poètes Nils Collett Vogt (1864-1937) et Vilhelm Krag (1871-1933). Sigbjørn Obstfelder (1866-1900) chante la solitude, l'étrangeté, l'angoisse dans une langue originale (Digte, 1893, Poèmes) où vibrent les...

Voir aussi