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SAINT-ÉVREMOND CHARLES DE MARGUETEL DE SAINT-DENIS DE (1614-1703)

Voici un cas hors du commun. Admiré en France et à l'étranger pour son esprit, son talent et l'originalité de sa pensée, Saint-Évremond est mort à un âge très avancé sans avoir pris la peine de faire imprimer aucun de ses nombreux ouvrages, qu'il abandonnait à ses amis, plus intéressé lui-même à bien vivre qu'à soutenir une réputation d'écrivain. Il est de ces auteurs dont on a pu dire qu'ils avaient mis leur génie dans leur vie plutôt que dans leur œuvre. La sienne, en partie posthume et faite de courtes pièces de prose et de vers, est celle d'un sage, dans la lignée des grands moralistes français. On l'a comparé à Montaigne, pour la pensée, et à Voltaire pour l'esprit. Mais parmi tant d'opuscules dignes de survivre, il faut convenir qu'il n'a pas laissé de chef-d'œuvre véritable, moins, peut-être, faute de moyens que parce que telle n'était pas son humeur.

Un homme de qualité

La noblesse et l'ancienneté de ses origines normandes (il naquit près de Coutances), son adresse à l'épée comme sa conduite valeureuse sur les champs de bataille, la distinction de ses manières et le charme de sa conversation, son goût des plaisirs délicats, l'amitié que lui portaient plusieurs souverains, tant de grands seigneurs et de capitaines illustres, à commencer par Condé, la faveur des femmes les plus recherchées, telles Ninon de Lenclos et, plus tard, la duchesse Mazarin : tout concourait à faire de Saint-Évremond le modèle accompli de l'homme de qualité, selon l'idéal de cette noblesse française, si raffinée et si libre à la fois, qui fleurit jusqu'au commencement du règne personnel de Louis XIV, en 1661.

La disgrâce qui vint alors le frapper, à la suite de son ami, le surintendant Fouquet, et le contraindre à un exil sans retour, si elle mettait fin à une carrière très brillante, n'a pas changé grand-chose à l'ordonnance de sa vie. En Angleterre, où il avait été chaleureusement reçu par le roi Charles II, l'élite de l'aristocratie et les gens de lettres les plus en renom, en Hollande, où il a passé quelques années, entre 1665 et 1670, dans la compagnie de Vossius et de Spinoza, il prolongea jusqu'à près de quatre-vingt-dix ans son existence voluptueuse d'épicurien studieux. Et quand il s'éteignit à Londres, en 1703, au comble de la célébrité, les Anglais lui décernèrent le suprême honneur de reposer avec leurs gloires nationales dans l'abbaye de Westminster.

En homme de qualité, il n'avait jamais accordé à ses ouvrages plus d'importance qu'à un divertissement qu'il se donnait et qu'il donnait à ses amis. Si ceux-ci en faisaient largement circuler des copies, si des libraires les publiaient, il ne se souciait ni de les approuver ni de les désavouer ; « Mon seul intérêt, c'est de vivre », écrivait-il à l'un de ses correspondants, ou encore : « Une seule heure de vie bien ménagée m'est plus considérable que l'intérêt d'une médiocre réputation. » Cependant, on faisait grand accueil à ses lettres, à ses poésies, à ses récits, à ses réflexions sur la littérature ou sur l'histoire, sur la morale ou sur la religion, auxquelles il donnait volontiers la forme de l'entretien, comme dans la célèbre Conversation du maréchal d'Hocquincourt avec le P. Canaye.

La première édition générale de ses œuvres, à laquelle, dans les dernières années de sa vie, il s'était enfin prêté, ne parut qu'après sa mort, en 1705. Mais c'est depuis les années 1960 seulement que les savantes recherches de René Ternois nous ont mis en possession de textes authentiques, dont la chronologie demeure très incertaine.

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Écrit par

  • : inspecteur général honoraire de l'Instruction publique, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Jean THOMAS. SAINT-ÉVREMOND CHARLES DE MARGUETEL DE SAINT-DENIS DE (1614-1703) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LIBERTINS

    • Écrit par Robert ABIRACHED, Antoine ADAM
    • 5 715 mots
    ...sagesse, et, parmi toutes les vertus, l'amitié. C'est cet épicurisme délicat que l'on retrouve à la fin du siècle chez Chaulieu. Il inspire l'œuvre de Saint-Évremond (1614 env.-1703). Il faut ne pas connaître cette époque pour voir chez les épicuriens un égoïsme jouisseur et sottement optimiste. Personne...