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PROUST, PRIX GONCOURT (T. Laget) Fiche de lecture

L’œuvre de Proust pense la littérature en soi, sans le lien qu’elle établit communément avec la « réalité ». Or cette relation avec le présent et avec la guerre tout juste achevée n’a jamais été aussi violemment discutée que le 10 décembre 1919, lorsque Marcel Proust reçoit le prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Thierry Laget relate cet événement dans Proust, prix Goncourt. Une émeute littéraire (Gallimard, 2019). En quinze chapitres fondés sur des archives nombreuses, l’auteur, avec humour et érudition, relate une bataille faite d’invectives et de polémiques.

Le guerrier et le mondain

L’affrontement oppose donc deux écrivains dont les partisans et détracteurs se disputent pour l’essentiel, sur la scène parisienne : Proust est un rentier, il n’a pas fait la guerre et n’a plus l’âge d’obtenir ce prix que son fondateur, Edmond de Goncourt, voulait voir « donné à la jeunesse, à l’originalité du talent, aux tentatives nouvelles, et hardies, de la pensée et de la forme », avec une prédilection pour le roman. Face à Proust, un jeune journaliste, ancien combattant, a les faveurs de la critique. C’est Roland Dorgelès, qui vient de publier Les Croix de bois chez Albin Michel. Une maison d’édition qui s’y entend en matière de promotion.

Le prix Goncourt ne jouit pas d’une très bonne réputation. Le rêve des frères Goncourt, celui d’un aréopage qui aurait compté parmi les siens Flaubert, Maupassant ou Barbey d’Aurevilly, a fait place à un ensemble de « bureaucrates bohèmes » et autres « laborieux » ou « scrupuleux ». Ces Goncourt auront donc « manqué » Valery Larbaud, Alain-Fournier et Giraudoux, mais aussi Paul Léautaud qui a préféré ne pas leur présenter Le Petit Ami en 1903.

Le prix est pourtant désiré : son jury offre cinq mille francs, une forte somme pour l’époque. Les jurés le savent et en jouent. On les flatte, on leur fait la cour. Marcel Proust entre lui aussi dans cette stratégie et invite au Ritz, si nécessaire. Mais à ce jeu, il n’est pas le meilleur : les amis et l’éditeur de Dorgelès sont plus habiles. L’auteur de La Recherche veut faire confiance à ces académiciens « qui savent ce qu’est le roman et ce que vaut le roman ». On peut en discuter. Tous sont issus d’un « naturalisme tempéré d’un impératif de bienséance ». Et si Goncourt voulait que la jeunesse gagne aussi l’équipe rassemblée, c’est mal parti. À cinquante et un ans, Daudet est le plus jeune ; Émile Bergerat, le plus âgé, en a soixante-quatorze. Parmi eux se distinguent les « frères siamois » J.-H. Rosny aîné connu pour La Guerre du feu, et J.-H. Rosny jeune, dont l’œuvre a sombré dans l’oubli. Lucien Descaves, « Alceste humanitaire », dînant seul à une table du rez-de-chaussée, envoie son bulletin de vote à l’étage où se tient le jury. Léon Daudet est la figure majeure de cette tablée. Éditorialiste à L’Action française, il « fait tomber les ministères comme il pratique la boxe, le journalisme, l’amour, la prose – et l’antisémitisme hélas ». Il sera toutefois assez lucide pour défendre Proust, mais aussi Apollinaire, Bernanos, Céline ou Malraux. Ses critiques pertinentes sont sensibles à la nouveauté d’un style.

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Norbert CZARNY. PROUST, PRIX GONCOURT (T. Laget) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Marcel Proust - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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