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PROSTITUTION AU MOYEN ÂGE

Dans les sociétés occidentales contemporaines, la prostitution consiste à offrir une prestation de nature sexuelle en échange d’une rémunération. Toutefois, dans le langage courant, les termes « prostituée » ou « putain » sont utilisés pour désigner des femmes qui ont des comportements jugés transgressifs par rapport aux rôles traditionnels qui leur sont réservés. Cette confusion n’est pas sans évoquer celle qui fut institutionnalisée au Moyen Âge.

En effet, les dépositaires de l’autorité publique au cours du « long Moyen Âge occidental » (du ive siècle au milieu du xviiie siècle selon Jacques Le Goff) ont souvent associé les notions de prostitution et de débauche, bornant ainsi plus étroitement encore la liberté de mœurs des femmes. Avant la Renaissance, la prostitution représentait ainsi un moindre mal par rapport aux unions charnelles improvisées ; la débauche monnayée devenant, au contraire, une première forme de canalisation de la folie des corps.

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Face au manque de sources disponibles avant le xiie siècle, il est difficile d’esquisser une chronologie exacte de l’histoire de la prostitution au Moyen Âge. Toutefois les historiens identifient la période précédant le xive siècle comme celle où s’enchevêtrent la pratique du laisser-faire et le principe de la prohibition. À partir du milieu du xive siècle, l’expérience d’organisation des pratiques sexuelles vénales par les autorités municipales, notamment à travers la création du prostibulum (maison publique) est, elle, bien documentée.

La prostitution du ve siècle au xive siècle, entre condamnation et tolérance

L’idéal ascétique du haut Moyen Âge (ve-ixe siècle)

Avec la chute de l’Empire romain d’Occident en 476, la reconnaissance légale des femmes nées libres qui échangent leurs faveurs sexuelles contre de l’argent prend fin ; celles-ci deviennent donc des marginales privées d’un statut protecteur (quoique déjà infamant). Par ailleurs, les lois germaniques, influentes à cette époque, sont moins permissives ; guidées par le souci de l’honneur, elles considèrent l’adultère comme un affront à la famille de l’épouse ou de l’époux. Néanmoins, l’attitude des autorités religieuses et publiques (municipalités, seigneurs, rois) à l’égard des prostituées est indécise. L’Église se montre parfois bienveillante, en autorisant leur baptême ou leur inhumation au cimetière chrétien (qui sera, au contraire, interdite en 1570). Parallèlement, les rituels de mortification imposés pour pénitence sont également attestés. Toutefois, leur sévérité varie selon les époques. Dans l’ordre temporel cette fois, l’empereur Louis le Pieux (778-840) chasse les prostituées du Palais en 814 et traque les souteneurs en 820, mais la législation carolingienne n’est pas appliquée avec constance.

L’irruption de la répression envers les prostituées révèle le puissant impact de l’idéal ascétique inspiré par les Pères de l’Église qui ont prôné le monachisme, cette forme de renoncement aux plaisirs terrestres. Les moines et les ecclésiastiques, suivis par les laïcs, dénoncent toute pratique sexuelle en dehors du cadre procréateur. Ne nous y trompons cependant pas : il importe peu qu’une relation sexuelle soit rétribuée. Toutes les relations détournées du projet d'enfantement contrarient l'idéal de renoncement à la chair à une époque où les thermes, le sport et le théâtre disparaissent.

Épisodes purificateurs du Moyen Âge classique (xie-milieu du xive siècle)

Le contrôle de la prostitution est un fait urbain qui a pour condition première l’essor des cités. Ce développement débute au milieu du xie siècle et, concomitamment, les formes de prostitution se diversifient ; la ville offre diverses opportunités en termes d’événements, comme les foires commerciales, et de lieux, comme les rues, les espaces clos mais ouverts au public comme les tavernes, etc. Vers la ville convergent les femmes qui ont rompu tout lien avec leur famille et qui trouvent là un moyen de subsistance sans avoir à craindre le regard de leur communauté d’origine.

À l’image de l’attitude des autorités durant les croisades (du xie au xiiie siècle), les réactions envers les élans désordonnés des corps sont versatiles. Ainsi, en temps normal, on tolère que des femmes accompagnent les croisés sans être leurs épouses, alors que dans les moments de crise toute relation adultère est sévèrement punie. La politique reste incohérente, entre arbitraire, sévérité et tolérance. Les ordonnances du roi Louis IX concernant la prostitution nous le rappellent : celle de 1254, rigoureuse, ordonne l’expulsion et la confiscation de tous les biens des prostituées, tandis que celle de 1256 se borne à restreindre le périmètre de leurs activités. Plus souvent encore, les ordonnances ne sont pas appliquées.

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Ces brusques actions purificatrices témoignent du fait que les autorités publiques sont imprégnées d’une éthique religieuse rigoriste issue de la réforme grégorienne (seconde moitié du xie siècle). Celle-ci a institutionnalisé une morale sexuelle austère, prônant l’abstinence et ne tolérant qu’un devoir conjugal sans effusions. Les confréries de pénitents la diffusent dans les milieux laïcs. Toutefois, à partir du xiie siècle, la morale devient moins sévère et, hormis ces épisodes, le laisser-faire prévaut. C’est aussi l’époque de la création de communautés religieuses destinées à réhabiliter les prostituées. Finalement, c’est au milieu du xive siècle que l’action des autorités publiques à l’égard de la prostitution s’organise au niveau municipal.

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Écrit par

  • : docteure en science politique, professeure à l'École de service social de l'université de Montréal, Québec (Canada)

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Médias

Les bains publics au Moyen Âge, des lieux de plaisir - crédits : Bibliothèque nationale de France

Les bains publics au Moyen Âge, des lieux de plaisir

La prostitution au Moyen Âge - crédits : IAM/ World History Archive/ AKG-images

La prostitution au Moyen Âge

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