POÈMES, Gerard Manley Hopkins Fiche de lecture
Une poésie nominative
L'univers devient un corps glorieux, à la fois cosmique, biblique et mystique : « Toutes ces choses, étaient ici, n'attendaient qu'un spectateur » pour les chanter. C'est « l'Homme [qui] scrute l'arbre, l'herbe, le poisson, l'oiseau et la bête,/ Rassemblant les fragments épars de son corps immortel/ Dans les formes élémentaires de tout ce qui croît ». Hopkins a foi dans ce qu'il nomme, comme Adam en l'Éden, de sorte que toute sa poésie est gouvernée par le nominatif : « Goutte-de-sang-dans-l'écume/ Les fleurs » ; le mot contient sa fonction : le faucon est son vol, le ciel est « ce bleu comme une pluie de richesse ». Le prêtre-poète « bénit quand [il] saisit », sans rien écarter, ni les gens du peuple, ni les simples chantés par le romancier Thomas Hardy qu'il admirait. Il intègre à la langue poétique des mots de dialecte et va jusqu'à redouter « son pauvre moi-gueux », au nom d'une séparation inscrite dans l'être, comme dans D octeur Jekyll et Mr. Hyde (1886) de Stevenson, qu'il plaçait très haut.
Si Hopkins proclame l'unité de tout, il refuse à lui-même la joie la plus élémentaire, par esprit de sacrifice, par souci de mortification : « Mais à toute parole/ De mon cœur le plus sage, ou le ban confondant/ Du ciel noir, ou l'enfer, met barre. » Il reste assujetti au « Maître-Martyr » des années terribles, celles de la fin, placées sous le signe du doute et de la morbidité. Son âme tendue vers l'absolu est hantée par la nécessité d'offrir à Dieu la souffrance qu'il compare à un fruit mûr et amer gorgé de sève : « Lestée-de-suc, coiffée-de-peluche, la prunelle,/ L'embouche-t-on à craque-chair, comme elle/ Jute ! et inonde l'homme, douce ou âcre, emplit l'être [...]. » Il trouve là une formulation poétique où se reconnaît le lecteur soumis aux « pics d'effrois », à la solitude des heures noires. Hopkins, en si peu de poèmes, renouvelle totalement la poétique ; son influence sur les lettres anglaises est considérable après 1920 ; le poète visionnaire redonne à l'écriture son pouvoir mythique de désignation, dans une musicalité inouïe.
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Écrit par
-
Claude-Henry du BORD
: professeur d'histoire de la philosophie, critique littéraire à
Études , poète et traducteur
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Pour citer cet article
Claude-Henry du BORD, « POÈMES, Gerard Manley Hopkins - Fiche de lecture », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :