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JOUVE PIERRE JEAN (1887-1976)

Hélène et l'Ange

Hélène est présente dans Sueur de sang (1935) où Jouve cherche Dieu dans la profondeur du péché. Le recueil contient un avant-propos important, intitulé « Inconscient, spiritualité et catastrophe ». Jouve ne fait pas acte d'allégeance à la psychanalyse, mais il en accepte les données fondamentales pour les fondre à une vie religieuse et mystique. Pour le poète, le désir freudien est essentiellement péché et, par là même, porteur des germes de la mort. Le poème introduit de nombreux symboles (l'œil, la bouche, la chevelure, le cerf), supports et ferment de l'interrogation créatrice. Matière céleste (1937) chante « Hélène, après qu'elle est morte » et introduit le thème dialectique du Nada, hérité des mystiques espagnols : « Celui qui forme tout est celui qui détruit. » Dans Kyrie (1938), le poète fait retentir l'écho des grandes musiques entendues à Salzbourg, invoque Hélène mise au tombeau tout comme Mozart jeté dans la fosse commune, et perçoit l'arrivée de « quatre cavaliers » qui annoncent la guerre. Pendant les cinq années de la Seconde Guerre mondiale, Jouve va vivre mystiquement l'esprit de la résistance nationale. La Vierge de Paris (1946) sera la somme des poèmes de guerre écrits à Grasse, à Dieulefit, puis dans l'exil genevois. Jouve compense le poids de la « catastrophe » par une fougue visionnaire, génératrice d'espérance. Son rêve serait que fussent conciliés l'idéal du Moyen Âge chrétien et l'esprit de la Révolution française.

Le temps de la guerre est pour lui l'occasion de faire une Défense et illustration (1946) des maîtres qu'il aime : Baudelaire, Rimbaud, Nerval. Mais son travail le plus remarquable est une analyse pénétrante du Don Juan de Mozart (1942). Avec Hymne (1947), le thème de la guerre s'estompe pour faire place à celui, très enrichi, du Nada, et surtout à la fascination d'un archétype baudelairien : la prostituée. Dans En miroir (1954), véritable confession du poète, Jouve raconte l'histoire de Yanick, connue, aimée et perdue. Cette humble fille « livrée aux mâles errant » apparaît dans Diadème (1949) ; elle est le « cygne » de Ode (1950), où l'esprit de Segalen et l'attrait formel de Saint-John Perse sont sensibles. Yanick est encore présente dans Langue (1952), recueil « dédié à l'esprit d'Alban Berg » dont Jouve admire le Wozzeck et Lulu, cette incarnation de « la chaleur – joyeuse ou désastreuse – de l'Éros ». Le mythe de Yanick s'enrichira au contact de la Lulu bergienne, sans pourtant se confondre avec le mythe d'Hélène. Dans Mélodrame (1958), « le poète écoute le Temps qui inscrit très près de son cœur les traits d'une plume de fer ». La mort est là, qui veille et qui unira peut-être définitivement le poète et le corps de toutes les femmes aimées-défuntes. La mort du poète conditionne, pour ainsi dire, la vie du poème. Mais, avant d'emprunter le sentier de Ténèbre, Jouve jette un dernier regard sur les Moires (1962) de son enfance. Les « messieurs-dames » ont beau s'esclaffer « car il s'agit de désespoir », Jouve n'en continue pas moins à renaître par une foi qui lui fait dire que « toute poésie est à Dieu » et que « sans cette ambition d'ange [...] le vers ne serait que le jeu des osselets de la mort ».

L'itinéraire poétique de Jouve est semé de nombreuses rencontres (lieux, femmes, lectures, musiques) que l'écrivain a pouvoir d'élever à la dimension mythique. La poésie est le fruit d'une expérience intérieure toujours dépassée dans un mouvement d'ascèse purificatrice ; elle est une dramaturgie religieuse où les multiples symboles fondent et se fondent à l'énergie du chant. L'œuvre de Jouve est une recherche souterraine de soi qui veut transmuer la « matière d'en bas[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature contemporaine à l'université de Tours

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Pour citer cet article

Daniel LEUWERS. JOUVE PIERRE JEAN (1887-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

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