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NOUVEAU ROMAN. CORRESPONDANCE 1946-1999 (ouvrage collectif) Fiche de lecture

« Faire bloc contre les imbéciles »

Le parcours de cette période d’un demi-siècle reste néanmoins passionnant. Ces échanges entre sept piliers d’un épisode culte des lettres du siècle dernier en offrent le film en accéléré. Ils clarifient les relations, mettent en évidence la singularité de chacun, la diversité des caractères et des positions sociales, les amitiés et inimitiés. Sarraute, Butor et Mauriac ont une vie de famille, plus bourgeoise, et conversent affectueusement dans leur coin. Simon, exploitant viticole, a tendance à faire cavalier seul et à surjouer « le grossier et naïf paysan […] plus à l’aise dans ses vignes que dans la brillante, redoutable et subtile société des salons parisiens ».

Les échanges sur les maladies ou les déménagements mettent en avant le côté humain de l’aventure, de même que les problèmes d’argent récurrents : « Y faudrait pas me prendre pour un miglionnaire » (Robbe-Grillet) ; « C’est triste d’être pauvre. D’accepter comme ça n’importe quoi pour le fric. […] Je cherche du travail au ministère des Affaires culturelles !! Tu te rends compte ? La déchéance » (Pinget). Les missives sont souvent très drôles, utilisant argot, tournures familières ou néologismes à la Queneau. L’histoire fait irruption : Robbe-Grillet décrit la rade de Brest après la guerre ; Ollier raconte avec humour comment il a échappé à la mort lors d’émeutes au Maroc en 1954 ou évoque la montée du Front national en 1998.

Des courants glacés rafraîchissent parfois les échanges. Simon envoie en 1982 à Jean Ricardou, qui pose en chef de file, une lettre cryptée dévoilant un « À BAS L’ARMÉE » on ne peut plus clair. Robbe-Grillet cristallise les critiques ; il répond en 1958 à Sarraute : « Vous perdez votre sang-froid. Vous en venez même à me parler de “guerre”. » L’inimitié de Butor à son égard est permanente, et Simon se rebelle parfois : « Mon cher Claude, Est-ce que tu ne deviendrais pas un peu dingo ? […] Mon cher Alain, […] Figure-toi qu’il y a deux ans, je me suis (et je n’ai pas été le seul…) posé la même à ton sujet. »

Pourtant le collectif existe bel et bien : dès qu’il s’agit de lutter pour une nouvelle écriture contre la critique consacrée, les lettres deviennent stratégiques. Les notations sur les voyages et conférences en Europe, puis aux États-Unis révèlent une vraie convergence d'intérêts, tout comme les manœuvres autour des prix. Lorsque, en 1985, le prix Nobel est décerné à Simon, Butor se dit « fort déçu par le peu d'écho qu'a reçu [votre] distinction dans la presse, les médias, l'université, auprès du gouvernement même de notre pays » ; « Oui, ce Nobel a été accueilli en France avec des grincements de dents. C'est bon signe. Je veux dire qu'on dérange toujours », répond Simon. « Il faut faire bloc contre les imbéciles », écrit Pinget en 1954, et en 1994 : « je n’ai jamais douté de mon appartenance (miraculeuse) au nouveau roman ».

Qu’il se trouve encore, à la parution de ce volume, des critiques pour nier l’importance, voire l’existence, du nouveau roman suffit à démontrer qu’il demeure dérangeant. Cette correspondance marque une nouvelle étape dans la connaissance d’un groupe d’écrivains de tout premier plan et parmi les plus inventifs de leur époque.

— Christine GENIN

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

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Christine GENIN. NOUVEAU ROMAN. CORRESPONDANCE 1946-1999 (ouvrage collectif) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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