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GARDINER MURIEL (1901-1985)

Amie de la famille Freud et de ce patient que Sigmund avait surnommé l'Homme aux loups, Muriel Gardiner a consacré sa vie et sa fortune à deux causes : la résistance antifasciste et le mouvement psychanalytique. Comme mécène de ce dernier, elle succéda, en quelque sorte, à la princesse Marie Bonaparte et à Dorothy « Tiffany » Burlingham.

Helen Muriel Morris a connu l'enfance dorée d'une petite fille riche : son père, héritier de la Morris & Co. et de l'Union Stockyards (les abattoirs), se trouva, après son mariage avec la fille du fondateur de la Swift & Co., à la tête des deux entreprises les plus importantes de conservation du bœuf à Chicago. De 1918 à 1922, elle prépare sa licence ès lettres à Wellesley College, près de Boston. Elle fréquente les milieux pacifistes et assiste aux audiences du procès de Sacco et de Vanzetti, pour lesquels elle a pris parti. Après deux années d'études à Oxford, elle soutient une thèse sur Mary Shelley, la créatrice de Frankenstein, dont les origines familiales l'ont fascinée (un père, philosophe de gauche anticonformiste, et une mère, féministe de la première heure). Son échec à l'oral de soutenance l'amène à renoncer à l'enseignement et à entreprendre une psychanalyse. Elle se rend alors à Vienne, mais Freud, trop occupé, lui suggère de faire son analyse avec une Américaine, Ruth Mack Brunswick, chez qui elle rencontre l'Homme aux loups, lequel lui donnera des leçons de russe. Elle s'installe en Autriche, épouse (pour divorcer après quelques années) un Anglais, Julien Gardiner, et entreprend des études de médecine tout en continuant son analyse (1926-1929 ; 1931-1935).

Témoin de l'installation progressive des nazis en Autriche et, en particulier, de leur haine des juifs, elle rejoint, dès 1934, la résistance antifasciste sous le nom de « Mary » et, après l'Anschluss, elle passe souvent à l'étranger pour rapporter des sommes importantes d'argent et de faux passeports. En 1938, elle rencontre à nouveau l'Homme aux loups, désespéré par le suicide de sa femme, et réussit à le faire sortir, lui aussi, d'Autriche. Ruth Mack Brunswick le prendra en charge à Londres, où s'instaure le cycle de maternage qui fera de Sergeï Constantinovitch Pankejeff une sorte d'objet chéri de la psychanalyse. Muriel Gardiner utilise sa position d'intellectuelle étrangère et sa fortune personnelle pour aider le Parti socialiste autrichien désormais clandestin et pour faire s'évader puis faire accueillir à l'étranger nombre de juifs et d'antifascistes. C'est ainsi qu'elle rencontre Joseph Buttinger, le chef de ce parti, et assure, pour lui, la liaison avec Otto Bauer et Adler, exilés à Brno et à Paris. Quittant l'Autriche pour échapper à la Gestapo, Muriel et Joseph se marient et se réfugient en France, en 1939, où le second, suspect parce qu'Autrichien, est interné dans un camp. Dans son autobiographie Le Temps de l'ombre. Souvenirs d'une Américaine dans la résistance autrichienne (Code Name Mary : Memoirs of an American Woman in the Austrian Underground, New Haven, 1983 ; trad. franç. Jean-Michel Denis, Aubier, Paris, 1981) – ouvrage préfacé par Anna Freud –, Muriel Gardiner raconte les péripéties de cette période jusqu'à l'embarquement du couple pour les États-Unis. Elle y décrit aussi les milieux psychanalytiques de Vienne pendant les années 1930, sa rencontre avec Freud, son amitié avec l'Homme aux loups et la manière dont étaient conduites les cures analytiques à cette époque. Les exploits de Muriel Gardiner dans la clandestinité ont directement inspiré le portrait de Julia dans les Mémoires de l'écrivain américain Lilian Hellman, Pentimento, dont a été tiré un film populaire. Le 30 octobre 1972, Anna Freud écrivait à sa collègue[...]

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Écrit par

  • : Ph.D. de Columbia University, New York, docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Lille-III

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Pour citer cet article

Pamela TYTELL. GARDINER MURIEL (1901-1985) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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