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MOI, LE SUPRÊME, Augusto Roa Bastos Fiche de lecture

Né à Asunción au Paraguay, Augusto Roa Bastos (1917-2005) connaît une enfance campagnarde, marquée par le bilinguisme espagnol-guarani propre à la culture populaire du pays. Il a seize ans lorsque éclate la terrible guerre du Chaco qui saigne à blanc le pays. Roa Bastos abrège ses études et s'oriente vers le journalisme engagé. Il doit s'exiler à partir de 1947 en raison de la guerre civile, puis de la longue dictature du général Stroessner. L'Argentine l'accueille : il y publie des contes et son premier roman, Fils d'homme (1960) qui le place d'emblée parmi les écrivains majeurs de son temps. En 1976, il fuit l'Argentine de la dictature militaire et se fixe en Europe, où il publie plusieurs romans. Il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Cervantès en 1989.

Moi, le Suprême (Yo el Supremo) paraît à Buenos Aires en 1974 et connaît rapidement de nombreuses rééditions en langue espagnole (Mexique, Cuba, Venezuela, Espagne). Unanimement considéré par la critique comme une œuvre maîtresse, le roman fait l'objet, par les soins de Roa Bastos lui-même, de deux versions théâtrales successives (1984, 1991).

Une voix d'outre-tombe

« Je n'ai jamais aimé personne. Je m'en souviendrais. Quelque trace en serait restée dans ma mémoire. Sauf dans les rêves, et alors il s'agissait d'animaux. D'animaux de rêve, d'outre-monde. Des figures humaines d'une perfection indescriptible. » Dans un Paraguay que la peur, l'inculture et l'obéissance frappent d'irréalité, un homme malade sans âge et sans visage, soliloque à voix haute dans un palais désert. C'est José Gaspar Rodríguez de Francia, « Suprême Dictateur », qui régna sans partage sur le Paraguay de 1814 à 1840. La voix semble venir d'outre-tombe, et le dialogue qu'elle engage parfois fait surgir une longue théorie de fantômes : figures historiques qui peuvent être antérieures ou postérieures au locuteur, secrétaires, parents ou chiens fidèles, tous confondus dans la mort. L'ambivalence de la voix est notable : en elle s'expriment alternativement, et parfois simultanément, Moi et Lui, l'être sensible ployant sous les souvenirs et « l'absolue solitude » du néant, et le Tout-Puissant, celui dont le verbe fait loi, celui qui énonce à la face du monde : « Je n'écris pas l'Histoire. Je la fais. » Une construction subtilement symétrique répartit le discours de Francia entre la « circulaire perpétuelle » qu'édicte le personnage public dans le silence général, et le « Cahier privé » où se lisent la frustration affective, la peur du hasard qui détruit l'ordre, la fascination de la mort. L'oralité, souvent véhémente, fait revivre les grandes fractures de la vie, la haine du père, la honte des origines impures – tout ce qui incita Moi à refuser d'être « engendré par un ventre de femme » et à accoucher, par sa seule volonté, de Lui-même, le Suprême.

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Pour citer cet article

Ève-Marie FELL. MOI, LE SUPRÊME, Augusto Roa Bastos - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ROA BASTOS AUGUSTO (1917-2005)

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 816 mots
    À la croisée du mythe et de l'histoire, Yo, el Supremo (1974 ; Moi, le Suprême, 1984 et 1991 pour les versions théâtrales) mêle et transmute un matériau hétérogène : monologues, dialogues, évocations historiques, extraits du cahier privé du « père de la patrie », correspondances, coupures de...

Voir aussi