JEURY MICHEL (1934-2015)
La parution en 1973 du Temps incertain dans la collection dirigée par Gérard Klein Ailleurs et Demain, fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le paysage de la science-fiction française. Évoluant dans les univers intérieurs chers à Philip K. Dick grâce à la chronolyse (une drogue capable de manipuler le temps), formellement influencé par certaines recherches du nouveau roman, Le Temps incertain dresse le tableau prémonitoire d'un futur dominé par les multinationales, la crise de l'énergie, l'état de guerre permanent. Le choc est d'autant plus grand que l'auteur, né le 23 janvier 1934 à Razac-d’Eymet (Dordogne), de parents ouvriers agricoles, est un parfait inconnu. Ses deux précédents romans de science-fiction, parus en 1960, sous le pseudonyme d'Albert Higon, sont alors largement oubliés, bien que l'un d'eux, La Machine du pouvoir, ait obtenu le prix Jules-Verne.
Michel Jeury va devenir le chef de file – voire le « gourou » – d'une science-fiction française en plein renouveau. À quarante ans, après une grave dépression et des années difficiles, il vit cette situation comme une renaissance. Alors que Le Temps incertain était rythmé par une fuite intérieure et construit autour de l'émiettement du moi (la chronolyse est avant tout le rêve d'un temps figé aux couleurs de l'enfance, où le héros, Daniel Dersant, espère assurer son bonheur personnel, sans être concerné par le monde qui l'entoure), Les Singes du temps (1974), deuxième volet de la trilogie chronolytique, est marqué par le désir, encore timide, de briser le cocon de la régression schizophrénique. On voit pointer aussi le désir d'utopie, tout comme dans la nouvelle La Fête du changement, incluse dans l'anthologie Utopies 75 (1975).
Dans Soleil chaud, poisson des profondeurs (1976), troisième et fort complexe volet de sa trilogie, le narrateur trace les lignes de force du monde tel que l'imagine Jeury : « Depuis mon enfance, je me débats entre deux impulsions contradictoires. D'un côté : en sortir, échapper à je ne sais quelle prison de matière ou d'esprit, pour émerger enfin à l'air libre, au-dessus de la surface, et symboliquement me libérer de toute contrainte. D'un autre côté : creuser, m'enfoncer toujours plus bas, toujours plus loin dans le cœur des choses, et dans le cœur du monde, à la fois dans un but de connaissance et dans un but de retraite, pour trouver le secret intime de Dieu et un refuge inviolable. Soleil chaud, poisson des profondeurs. Vers les paradis d'outre-ciel, la vie brûlante et l'avenir. Vers l'asile merveilleux du sein maternel – avec les pseudo-écailles de l'embryon. »
Porté par la reconnaissance unanime du milieu professionnel et des amateurs de science-fiction, Michel Jeury va donner libre cours à sa tendance « soleil chaud », en créant toute une famille de personnages prométhéens : Taël, qui s'est donné pour but de sauver son pays muré dans son isolement (Le Sablier vert, roman pour la jeunesse, 1977), Dennic Joebem, le vendeur de savonnettes (La Sainte Espagne programmée, 1981), Gilbert Mason, le vendeur d'encyclopédies (Les Hommes-Processeurs, 1981), David Serguei, l'homme-syge (Goer-le-Renard, 1982) et surtout Mark Jervann d'Angun, le messianique berger de tout un peuple, qui baptise les demi-humains de la planète Faüde pour leur permettre d'accéder à la liberté (L'Orbe et la roue, 1982).
Michel Jeury n'est le militant d'aucune cause. Son œuvre ne peut pas être récupérée politiquement, même si un courant de la science-fiction française s'y employa. La vérité que ses personnages recherchent est plutôt d'ordre mystique. Nous atteignons les limites de notre perception du monde. Dans Les Yeux géants (1980), roman sur les phénomènes paranormaux, l'auteur[...]
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Écrit par
- Denis GUIOT : historien de la science-fiction
Classification
Autres références
-
SCIENCE-FICTION
- Écrit par Roger BOZZETTO et Jacques GOIMARD
- 7 938 mots
- 3 médias
L'« effet science-fiction » commence au niveau de la phrase. Ainsi Michel Jeury, dans Les Enfants de Mord (1979), fait dire à l'un de ses personnages : « Vous devez savoir que Louis Catalina n'est pas mort. Enfin, il n'est plus mort. » Un autre ajoute un peu plus loin : « J'espère qu'il restera...