LE MALADE IMAGINAIRE, Molière Fiche de lecture
Masques et contre-masques
Si les circonstances ont fait du Malade imaginaire l’ultime pièce de Molière, on ne saurait pour autant la tenir pour une œuvre-testament, notion romantique assez éloignée de l’esprit du xviie siècle en général, et de celui de l’auteur en particulier. Il reste qu’on retrouve ici la plupart des thèmes, des ressorts dramaturgiques et des procédés comiques qui ont assuré le succès de Molière auprès de la Cour et du public.
Outre plusieurs farces de jeunesse, certaines d’attribution douteuse, Molière a consacré pas moins de quatre comédies à la satire de la médecine (L’Amour médecin, Le Médecin malgré lui, Monsieur de Pourceaugnacet Le Malade imaginaire). On a pu à cet égard invoquer la disposition mélancolique d’un auteur obsédé par la maladie et la mort, mais il faut rappeler que ce topos du théâtre comique français, du Moyen Âge (Le Vilain Mire) au xxe siècle (Knock), est abondamment traité au xviie siècle, en particulier dans les spectacles populaires, comme la commedia dell’arte (le personnage d’Il Dottore). Il ne fait guère de doute que Molière ait puisé là une matière propre à satisfaire un public heureux de se trouver en terrain connu, tout en jouant sur les registres de la farce : personnages immédiatement identifiables à leur accoutrement, plaisanteries plus ou moins scabreuses liées au corps (le lavement)... Encore convient-il de préciser que, dans une sorte de querelle scientifique des Anciens et des Modernes, c’est moins la médecine en général qui est ici tournée en ridicule que sa version française contemporaine, à la fois inefficace, arrogante et rétrograde dans son rejet dogmatique des « prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang et autres opinions de la même farine » (II, 5).
Enfin et surtout, la satire de la médecine s’inscrit chez Molière dans une perspective plus large : les trois ressorts dramaturgiques de la pièce – le père fait obstacle au projet amoureux de sa fille, la marâtre cherche à détourner la fortune de son époux, l’hypocondriaque se livre entièrement aux médecins qui l’exploitent –, tous centrés sur la personnalité d’Argan, ressortissent, à des titres et des degrés divers, à l’éternelle dénonciation de l’imposture. À cet égard, si Le Malade imaginaire se situe naturellement dans le sillage des autres « comédies médicales » de l’auteur, et si on a pu noter les ressemblances dramaturgiques avec une comédie-ballet telle que Le Bourgeois gentilhomme, c’est bien au Tartuffe que, mis à part le rôle des épouses, il s’apparente le plus. D’ailleurs, dans Dom Juan(1665), Sganarelle n’annonçait-il pas, d’une certaine manière, cette proximité : « Comment Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine ? » (III, 3). Par un mélange de crédulité et d’égoïsme, Orgon-Argan mettent à mal l’ordre familial en imaginant livrer leurs filles (Mariane-Angélique) à l’appétit des imposteurs qui les exploitent (Tartuffe-Purgon/Diafoirus), dans le seul but de s’assurer le salut ou la santé.
Si l’apparence, et singulièrement l’habit, participent à la tromperie, c’est avant tout par le langage (scolastique des dévots, jargon des médecins, latin macaronique dans le dernier intermède) que celle-ci s’exerce. Or, à ce titre, les dénouements des deux pièces présentent également de frappantes similitudes et dispensent au fond la même leçon : à l’instigation des servantes Dorine-Toinette, pour qui l’action vaut plus que les beaux discours, la simulation (séduction d’Elmire, mort d’Argan) triomphe de l’hypocrisie, là où les raisonnements de Cléante-Béralde s’étaient révélés impuissants. Seul le jeu – qui prolifère dans toute la pièce : Cléante en faux maître de chant, Toinette en faux médecin... – se révèle plus fort que l’artifice. Ainsi, avec ce spectacle « total » mêlant comédie, musique, chant et[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )
Média
Autres références
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