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LA MONNAIE ENTRE VIOLENCE ET CONFIANCE (M. Aglietta et A. Orléan) Fiche de lecture

Au cours des xviiie et xixe siècles s'impose une conception de la monnaie réduite à celle d'un simple instrument d'échange. L'idée que la monnaie est neutre et sans aucune incidence sur les données réelles de l'économie (production, emploi, etc.) sera dès lors peu contestée. Des dissidences commencent de s'affirmer avec l'Autrichien Carl Menger (Principles of Economics, 1871 ; On the Origin of Money, 1892), pour qui la monnaie est une « institution sociale », et le Suédois Knut Wicksell, qui rejette la neutralité de la monnaie dans le second tome de ses Lectures d'économie politique publié en 1906. Trente années plus tard, John Maynard Keynes porte le coup le plus sévère à la thèse de la neutralité monétaire dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (1936), en fondant la théorie monétaire contemporaine sur la notion de préférence pour la liquidité. Pour autant, la révolution keynésienne est loin d'avoir épuisé le sujet. Joan Robinson (1903-1983) ironisait à peine en disant : « La monnaie c'est comme un éléphant, on sait quand elle est là mais on ne sait pas très bien la définir ! » On se contente le plus souvent d'énumérer ses fonctions : 1. d'étalon ; 2. d'intermédiaire des échanges ; 3. de réserve de richesse alimentée par notre préférence pour la liquidité en situation d'incertitude.

Un nouveau paradigme pour la théorie monétaire

C'est à une définition théorique de la monnaie que Michel Aglietta et André Orléan s'attellent, quant à eux, dans La Monnaie entre violence et confiance (2002), qui renouvelle leur essai de 1982 La Violence de la monnaie. Le second ouvrage vient associer à l'hypothèse mimétique, qui sous-tendait l'essai original, les notions de confiance et de souveraineté. L'hypothèse de base est « qu'il n'est d'économie marchande que monétaire » ou, autrement dit, que le rapport marchand est nécessairement un rapport monétaire. La monnaie n'est donc pas introduite après coup pour sortir du troc et faciliter les échanges comme dans la pensée classique ; elle précède la société marchande ; elle est l'institution fondatrice qui permet à celle-ci d'exister. Elle ne procède ni de l'État, ni du contrat, mais d'une polarisation mimétique fondée sur un processus « d'élection-exclusion », à travers lequel les individus en situation de lutte généralisée (violence essentielle) expriment leur besoin de protection, de certitude, de société : « La recherche mimétique de la richesse par tous les agents débouche nécessairement sur la focalisation de tous les désirs de richesse sur un même bien. Cette polarisation unanime [élection] a pour conséquence de transformer la nature du bien élu en le mettant à distance des individus [exclusion]. » Dans cette genèse théorique de la monnaie, deux incidences fondamentales sont à relever. D'une part, l'objet élu acquiert la confiance collective et change de nature : on passe d'une forme privée et provisoire de la richesse à une forme sociale de la richesse, reconnue par tous, une institution. Peu importent ici les propriétés particulières de l'objet élu, cet objet est devenu monnaie parce que tout le monde l'a considéré ainsi ; la monnaie, comme la richesse, a une nature auto-référentielle. D'autre part, ce processus d'institutionnalisation confère à la monnaie une souveraineté qui la place à distance des individus ; en devenant monnaie, l'objet élu est provisoirement détaché du mimétisme et de la violence essentielle qui le met en action.

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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Pour citer cet article

Jézabel COUPPEY. LA MONNAIE ENTRE VIOLENCE ET CONFIANCE (M. Aglietta et A. Orléan) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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