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L'HOMME RAPAILLÉ, Gaston Miron Fiche de lecture

C'est en 1970 que Gaston Miron (1928-1996), lauréat du prix littéraire de la revue montréalaise Études françaises, accepte de laisser réunir en un volume des poèmes et des textes jusqu'alors dispersés dans des plaquettes ou des publications devenues introuvables. Ainsi, à un moment crucial dans l'évolution du Québec moderne (époque de grande tension, où le Front de libération du Québec passe à l'action armée), se trouvait consacrée la haute stature d'un poète qui avait joué un rôle essentiel dans la vie intellectuelle de son pays.

Gaston Miron a été, en effet, l'un des fondateurs, en 1953, et le principal animateur des éditions de l'Hexagone, qui ont su donner à la jeune poésie québécoise une ampleur et une cohérence singulières : rassemblés autour d'un projet poétique (fonder, inventer, inventorier un pays, une appartenance, une parole), les poètes de l'Hexagone refusent la solitude aliénante et les révoltes narcissiques pour affronter le réel, participer aux luttes militantes, bref agir par la poésie.

L'art du disparate

C'est bien le poème qui, seul, « refait l'homme ». Le titre choisi pour ce recueil le souligne. Car « rapailler », en français du Québec, c'est « rassembler », réunir des éléments épars » ; ou, mieux, « reprendre quelque chose de détérioré ». Et L'Homme rapaillé se présente lui-même comme un volume rapaillé : recueil de poèmes éparpillés, de fragments détachés d'ensembles poétiques plus vastes, de textes de circonstance, en prose, ayant déjà servi (autocritiques, confidences, entretiens journalistiques) ; mais le rassemblement de ces éléments dépareillés leur confère une efficacité nouvelle et les prépare à de nouveaux usages. Livre ouvert, donc, appelé à se transformer de l'édition originale québécoise (Presses de l'université de Montréal) à l'édition française, parue en 1981 : poèmes corrigés (dans le sens d'une plus grande simplicité) ; pièces supprimées ou ajoutées ; considérations sur la situation de la poésie québécoise et sur les lectures poétiques de l'auteur remplacées par deux développements sur la situation de colonialisme linguistique qui caractérise le Québec.

Le disparate du recueil répond à une nécessité. Car la poésie de Miron ne vise nul achèvement formel. Elle est tout entière tendue vers un avenir qu'elle travaille à mettre au monde (« un jour j'aurai dit oui à ma naissance »). Par un acte d'insurrection poétique, elle s'arrache au présent, à la situation d'infériorité collective à laquelle on a fini par s'habituer, à ce que le poète nomme le « non-poème » (« Le non-poème/ c'est ma tristesse/ ontologique/ la souffrance d'être un autre »). Elle se fait cri, refus d'accepter l'aliénation quotidienne ; elle se préoccupe d'abord du combat à mener. Dans leur morcellement et leur environnement prosaïque, dans leur proximité avec des textes documentaires, les poèmes cris affichent l'impossibilité actuelle de composer une œuvre achevée.

Le disparate caractérise aussi l'inspiration. On reconnaît dans les premiers poèmes le désir de rivaliser avec des maîtres, salués parfois avec une ironie discrète : Mallarmé, Valéry, Apollinaire, Eluard... Puis les titres donnés aux différentes sections du recueil indiquent les étapes d'une triple éducation : sentimentale, poétique et politique (La Marche à l'Amour ; La Batêche ; La Vie agonique ; L'Amour et le militant ; Poèmes de l'amour en sursis ; J'avance en poésie). Miron se révèle un amoureux naïf, étonné, douloureux, pour dire les incertitudes du couple : après l'émerveillement de la passion partagée, le désarroi renouvelé devant toute séparation. Nulle complaisance cependant, nul abandon doloriste.[...]

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Pour citer cet article

Jean-Louis JOUBERT. L'HOMME RAPAILLÉ, Gaston Miron - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • MES FORÊTS (H. Dorion) - Fiche de lecture

    • Écrit par Antony SORON
    • 1 477 mots
    • 1 média
    ...poésie d’Hélène Dorion use de mots simples, compréhensibles par tous, comme si elle avait souhaité se faire « rapailleuse », pour reprendre le titre du recueil de Gaston Miron – figure tutélaire de la poésie québécoise –, L’Homme rapaillé(1970), qui évoque l’idée de rassemblement d’objets...

Voir aussi