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KIPPOUR (A. Gitaï)

Le film de guerre est un genre. Le film de guerre stricto sensu fait référence aux guerres du xxe siècle, que le cinéma a ou aurait pu filmer. Le cinéaste qui reconstitue les guerres indiennes travaille aux marges du western, tout comme celui qui évoque la guerre de Sept Ans fait dans le film en costumes, ou celui qui filme les guerres puniques n'échappe pas au péplum. Le film de guerre, lui, travaille une histoire encore chaude, s'approprie une mémoire controversée qu'il contribue à fixer. À ce titre, il porte une responsabilité dans la construction d'une conscience collective de l'histoire. Il s'agit souvent d'un film engagé, qui peut avoir fonction de commémoration nationale, de mobilisation belliqueuse (des films de guerre sur la Première Guerre mondiale ont été produits pour servir la propagande des États impliqués dans la Seconde), voire de protestation contre l'injustice, la barbarie, ou, plus simplement, de manifeste pacifiste.

Le film de guerre est aussi un travail de professionnel (du cinéma) qui recourt aux services de consultants – des officiers à la retraite par exemple dont la présence au générique doit conforter les producteurs et impressionner les spectateurs. Le cas de Kippour (2000), de l'Israélien Amos Gitaï, dont on connaît l'engagement en faveur d'un apaisement entre Israël et ses voisins, est un cas rare de film à la première personne du singulier : en effet, le réalisateur et scénariste a été, vingt-six ans avant le tournage, un protagoniste de l'épisode qui se trouve au cœur du film.

Certes, il y a eu des films de correspondants de guerre (La 317e Section, de Pierre Schoendoerffer, en 1964, reconstituait au plus près un épisode de la guerre d'Indochine dont il avait été le témoin dix ans plus tôt), ou des films d'ancien combattant : The Big Red One de Samuel Fuller en est un bon exemple. Mais on avait affaire ici à la chronique héroïque d'une division d'infanterie de 1943 à 1945, dont Fuller avait fait partie. L'ampleur même du projet réduisait la dimension privée dont le metteur en scène avait souhaité le charger. La guerre d'Amos Gitaï n'a duré que six jours, du 6 au 11 octobre 1973, auxquels il faut ajouter six mois d'hôpital. C'était la guerre d'une poignée d'hommes réunis et isolés par le chaos plus que par une volonté stratégique.

Lors de la sortie de Kippour, la presse a rapproché deux photos. Sur la première, parue en 1973, quatre soldats courent en portant une civière. Le premier des porteurs est Amos Gitaï, chevelu comme un étudiant de l'après-68. Sur la seconde, une photo de tournage de Kippour, quatre soldats portent une civière en s'éloignant d'une silhouette de char. L'un d'eux est le sergent Weinraub. L'identification du Weinraub de la fiction au Gitaï de 1973 ne fait aucun doute.

La photo de 1973 avait été prise par grand soleil. Les images de 2000 sont sombres, sans ombres portées. Le film, qui avait commencé dans les couleurs encore chaudes du premier matin, vire à une tonalité brun verdâtre. Kippour est un film de pluie et de boue. Sauveteurs ou blessés, les hommes sont progressivement freinés, englués dans une gangue sale qui les fait anonymes, abstraits. Au début du film, sur l'écran encore blanc avait coulé une peinture épaisse, faite de couleurs d'abord franches, qui se mêlaient. Puis deux corps enlacés voyaient leurs mouvements ralentis par une pâte teintée qui virait à un vert brun inquiétant. Référence au psychédélisme du temps, sans doute, mais aussi figuration de la menace latente : ce prologue se terminait par l'appel glaçant d'une sirène.

Le film proprement dit installe vite le chaos. Un road movie de plus en plus lent conduit au champ de bataille et à la guerre. Deux étudiants, dans une vieille voiture, parlent[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma

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Pour citer cet article

Jean-Pierre JEANCOLAS. KIPPOUR (A. Gitaï) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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