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SEMPRUN JORGE (1923-2011)

Jorge Semprun - crédits : Stephane Cardinale/ Corbis/ Getty Images

Jorge Semprun

La vie de Jorge Semprun fut tout entière engagée dans l'action. Acteur et témoin des bouleversements majeurs du monde depuis les années 1930, il a composé une œuvre ardente et dense, qui, à partir de l'évocation de souvenirs autobiographiques, se voudrait une interrogation sur la place de l'individu dans l'Histoire. Ses récits, romans et essais reconstituent, à la façon d'un puzzle, un itinéraire qui va de la jeunesse d'un exilé espagnol à Paris, jusqu'à son entrée comme ministre dans le gouvernement de Felipe Gonzales, en passant par la lutte contre le franquisme, l'adhésion au Parti communiste espagnol, le camp de concentration de Buchenwald et la Résistance.

Né le 10 décembre 1923, à Madrid, dans une famille espagnole républicaine appartenant à la grande bourgeoisie castillane, Jorge Semprun est le fils d'un diplomate chassé d'Espagne par Franco. Installé à Paris, il découvre la langue française en « clandestin de la vie » (L'Algarabie, 1981) et poursuit des études au lycée Henri-IV. Il racontera dans Adieu vive clarté (1998) comment il parcourt Paris, un Baedecker et les œuvres de Baudelaire sous le bras. Sa fréquentation de l'intelligentsia française et sa passion pour la poésie se prolongent dans l'action politique au côté du Parti communiste espagnol en exil : il y adhère en 1942, après avoir rejoint les F.T.P. dès 1941. Dénoncé en 1943, il est arrêté par la Gestapo et envoyé à Buchenwald où il reste seize mois. Le Grand Voyage (1963) refait le trajet vers le camp de la mort où il retrouve Henri Maspéro et surtout Maurice Halbwachs, son professeur de philosophie et maître à penser, qui mourra dans ses bras à quelques semaines de la libération des camps (Le Mort qu'il faut, 2001). L'expérience concentrationnaire fut un traumatisme dans la vie de Semprun. Il commença par n'en point parler – il s'en explique dans L'Écriture ou la vie (1994) – avant d'en faire le centre de sa réflexion philosophique. L'Autobiographie de Federico Sanchez (1977) évoque ainsi les années d'après guerre, quand il coordonne pour le bureau politique du P.C.E. les activités antifranquistes. Il se fait exclure du parti en 1964-1965 au cours d'un procès en révisionnisme, animé notamment par la légendaire « Pasionaria », Dolorès Ibaruri, qui lui reproche ses origines de classe et son esprit capitulard. Il s'intéresse alors au cinéma et devient le scénariste de plusieurs films à portée didactique en travaillant avec Alain Resnais pour La guerre est finie (1966) et Stavisky (1974), ou Costa-Gavras pour Z (1969) et L'Aveu (1970). Ministre de la Culture du gouvernement de Felipe Gonzalez de 1988 à 1991, élu à l'académie Goncourt en 1996, il partage ses activités entre les préfaces de livres sur les camps, la participation à un manuel d'espagnol pour l'enseignement secondaire, l'écriture de cinéma, la publication avec Jean-Baptiste Para d'une belle Anthologie de la poésie française du XXe siècle, etc. La publication de L'Écriture ou la vie en 1994 le conduisit vers les plateaux de télévision et dans les universités pour débattre de la dérive diabolique de la philosophie des Lumières vers le Mal absolu que furent Auschwitz ou la Kolyma.

Le destin de Semprun fut de se chercher un destin. Après l'action politique directe, il s'imposa une morale de l'ambiguïté fondée sur un nécessaire « travail de deuil » qui maîtriserait le passé tout en élaborant « les principes d'un avenir européen » qui permît « d'éviter les erreurs du passé » (Mal et modernité, 1995). Ardent dans la lutte, viscéralement antifasciste et défenseur passionné des droits imprescriptibles de la personne humaine, l'auteur a voulu choisir la vie, voire la survie – et non l'écriture – quand les[...]

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Pour citer cet article

Michel P. SCHMITT. SEMPRUN JORGE (1923-2011) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Jorge Semprun - crédits : Stephane Cardinale/ Corbis/ Getty Images

Jorge Semprun

Autres références

  • SHOAH LITTÉRATURE DE LA

    • Écrit par Rachel ERTEL
    • 12 469 mots
    • 15 médias
    ...dans La Danse de Gengis Cohn (1967), donne la parole à un dibbouk, fantôme d'un Juif assassiné qui s'est emparé à jamais de son bourreau. Le flux de conscience du Grand Voyage (1963) de Jorge Semprun enchâsse, dans les trois jours du transport qui emporte le narrateur vers Buchenwald, le...

Voir aussi