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IBN GUZMAN (1095 env.-1160)

Dans le Libro de las banderas de los campeones, de Ibn Sa‘īd al-Maghribi, on lit (LVII) : « L'écrivain Abū Bakr Muḥammad ben ‘Īsā ben ‘Abd al-Malik Ibn Ḳuzmān, célèbre pour ses zadjals, appartenait à une famille à la fois noble et lettrée. On me récita ces vers-ci, qui sont de lui : « Délicieuse à manger, la rave ; mais qui s'en régale est venteux de la bouche ; elle n'a d'autre défaut que de changer la tête en cul. »

C'est un peu simplifier l'image d'Ibn Guzman que de ne le citer que pour ces deux vers-là. Mieux vaut relire à son propos Ibn Khaldūn : « Lorsque l'art de composer des vers se fut répandu parmi les Espagnols, tout le monde s'y appliqua à cause de la facilité du genre, de l'élégance de sa forme et de la correspondance qui régnait entre les vers, et les habitants des villes se mirent à tisser sur ce modèle et à ranger des vers d'après ce système. Ils y employèrent leur dialecte ordinaire, celui qui se parle dans les villes, et ne s'y astreignirent pas aux règles de la syntaxe désinentielle. Ils développèrent aussi une nouvelle branche de poésie à laquelle ils donnèrent le nom de zadjal et dont la versification conserve jusqu'à ce jour la forme qu'ils avaient adoptée. Dans ce genre de poésie, ils ont produit des pièces admirables, et l'expression des idées y est aussi parfaite que leur langage corrompu le permet. Le premier qui se distingua dans cette voie fut Abū Bakr Ibn Ḳuzmān. Il est vrai qu'avant lui on avait récité des ballades en Espagne, mais la douceur du style, la manière élégante dont on y énonçait ses pensées et la beauté dont ce genre de composition était susceptible ne furent appréciées qu'au temps de ce poète. Il vivait sous les Almoravides et tenait, sans contredit, la première place parmi les compositeurs de ballades. Quant à ses zadjals, dit Ibn Sa‘id (mort en 1274), je les ai entendu réciter plus souvent à Bagdad que dans les villes de l'Occident. »

Mauvais sujet

Issu d'une famille cordouane dont plusieurs membres furent célèbres, notamment son oncle Abū Bakr Muḥammad (celui qu'on appelle parfois al-Akbar pour le distinguer d'Ibn Guzman), ce chanteur de rues besogneux, qu'on trouve à Séville, à Jaén, à Grenade, mais qui avoue n'avoir jamais connu la mer, avait une réputation de loucherie et de laideur qui explique peut-être ses mœurs d'ivrogne sensuel, également habile aux hommes et aux femmes et qui encourait le reproche des bien-pensants. Bornons-nous à dire : « Ses chansons d'amour s'éloignent de l'amour courtois, qu'il tourne en ridicule, et il ne se gêne pas pour exalter la sodomie, dans un milieu où foisonnaient les mignons professionnels. En matière d'amours féminines, il étale sa débauche et ses polissonneries : il n'est d'ailleurs pas difficile : À mes yeux, elles sont toutes pareilles, la jeune et la vieille, la lointaine et la proche, la grasse comme la mince. » Il est proche de tel ou tel de nos poètes médiévaux. « Ses bien-aimées, il les recherche dans les rues et, les vendredis, dans les cimetières. Amateur de danseuses et de tendres musiciennes, infaillible consolateur des veuves, il ne se détourne point des épouses de ses voisins. »

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

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ETIEMBLE. IBN GUZMAN (1095 env.-1160) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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