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HISTOIRE AMOUREUSE DES GAULES, Roger de Bussy-Rabutin Fiche de lecture

Militaire, gentilhomme bourguignon, grand officier du royaume, ex-frondeur rallié à la cause du roi, Roger de Bussy-Rabutin (1618-1693) aime écrire à temps perdu. Sa Carte du pays de Braquerie (1654), où il faisait la satire de la Carte de Tendre en comparant les femmes à des forteresses aisées à investir, l'a fait connaître, ses Maximes d'amour (1664) plaisent au roi. Même si quelques conduites libertines et certains récits malicieux qu'il reprendra dans son Histoire amoureuse des Gaules (en particulier contre sa cousine, Mme de Sévigné, avec laquelle il est fâché) sont connus, et circulent secrètement dans les salons, l'Académie française l'accueille en janvier 1665. Mais en avril de la même année, lorsque le recueil est publié malgré lui et sans nom d'auteur à Liège, et que le bruit s'en répand, Louis XIV l'embastille treize mois avant de l'exiler dans sa province, où il écrira désormais ses Mémoires et rédigera une volumineuse correspondance. On ne plaisante pas ouvertement avec les mœurs de la cour.

Bussy ne cessera de clamer que les historiettes qui composent l'Histoire amoureuse des Gaules n'étaient pas destinées à être publiées, qu'elles avaient été écrites, en 1660, pour Mme de Montglas, sa maîtresse, et qu'il avait prêté son manuscrit à Mme de la Baume à la suite d'une lecture entre amis. Il ne cessera de dire que celle-ci l'a trahi, en recopiant le texte en secret, et en en faisant lire partout les beaux morceaux. Enfin, il soutiendra que, s'étant fâché avec cette femme, il vit avec désespoir son texte connu de tous au point qu'il dut le porter au roi lui-même pour lui démontrer qu'il ne parlait ni de lui, ni de sa mère, et à peine d'Henriette d'Angleterre et de la comtesse de Soissons. De mauvaises langues ajoutèrent que le manuscrit était incomplet, que le reste du texte s'en prenait au roi, et tout fut consommé.

Un monde dissolu

Ce qui semble avoir choqué, par-delà les manœuvres et les possibles ajouts donnant au texte des allures de libelle – on ne saura jamais si la version dont nous disposons est bien l'original –, c'est certainement, d'une part, l'effet de publicité et, d'autre part, l'accumulation des « cas » montrant à quel point la nouvelle société de cour est corrompue et dissolue. Isolément, on pouvait bien écrire que telle ou tel était une Messaline ou un giton, mais, en faisant un recueil de portraits et d'anecdotes, on en venait à produire un tableau scandaleux. Si bien que les moqueries adressées aux héros (La Feuillade), aux comtesses qui vendent leurs charmes (Madame d'Olonne), aux duchesses qui sont prises d'une ambition effrénée (Madame de Châtillon) et aux princes du sang ridicules (Condé), une fois reliées les unes aux autres et rendues publiques, et parce qu'elles émanent d'un auteur de sulfureuse réputation (on lui prête bien des blasphèmes), doivent être censurées.

Une satire, donc, et un divertissement aristocratique. Mais aussi un roman composé de morceaux épars, et un art de l'Histoire. Car plutôt que de croire que les curieux récits de Bussy-Rabutin sont des documents fiables, il faut comprendre qu'ils lancent un courant, ou qu'ils y participent : à savoir celui de l'histoire particulière, fondée sur les conduites humaines, érotisée par les passions, mue par les intérêts, au sein de la grande Histoire, et qui l'explique par ces principes mêmes. « Il faut avouer que l'amour est quelque chose de bien subtil et de bien ingénieux, et que, lorsqu'il a dessein sur quelqu'un, il trouve admirablement bien le moyen de s'en rendre le maître » (Avis « au lecteur »).

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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