EY HENRI (1900-1977)

Né à Banyuls-dels-Aspres dans les Pyrénées-Orientales, Henri Ey est mort le 6 novembre 1977, peu après une ultime journée de travail à la bibliothèque de l'hôpital Sainte-Anne à Paris, lieu qu'il privilégiait pour l'avoir dirigé, aménagé et enrichi. Dans un pays où titre universitaire vaut renommée, le docteur Ey domina la psychiatrie contemporaine sans autre parchemin que celui de médecin-directeur du modeste hôpital psychiatrique beauceron (Bonneval, dans l'Eure-et-Loir), où il fut nommé en 1933. Malgré les charges honorifiques qui lui furent proposées, il y demeura jusqu'à l'âge de la retraite (1970), se consacrant à la transformation de ce lieu vétuste en un centre de traitement et de réadaptation sociale.

Le pouvoir qu'il exerça avait la meilleure origine : celle qui force la reconnaissance quand l'action militante féconde une réflexion théorique. Celle-ci s'inscrit dans une œuvre considérable, qui comprend les trois tomes des Études psychiatriques (Desclée de Brouwer), le Manuel de psychiatrie (Masson), un ouvrage sur La Conscience (Presses universitaires de France), un Traité des hallucinations, et de nombreux articles publiés en particulier dans l'importante revue L'Évolution psychiatrique, dont il fut le rédacteur en chef. Il fut aussi le maître d'œuvre des trois tomes consacrés à la psychiatrie dans l'Encyclopédie médico-chirurgicale. Pendant longtemps, un artisanal Cercle d'études psychiatriques réunit chaque semaine une foule d'élèves – parmi lesquels des universitaires venus se former, pressés d'assister à ses présentations de malade et à ses conférences. L'action militante de Henri Ey prit appui sur le syndicat des médecins des hôpitaux psychiatriques, qu'il anima, et sur l'Association mondiale de psychiatrie, qu'il créa en 1961 et dirigea jusqu'à ce que son succès et le poids qu'elle avait acquis fissent évincer en 1968 son fondateur au profit d'un Anglo-Saxon. À Paris, Henry Ey présidait la commission des maladies mentales du ministère de la Santé et de la Sécurité sociale.

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Situé à égale distance entre ceux qui voient dans la maladie mentale l'effet d'une inadéquation sociale (sociogenèse) et ceux qui l'interprètent comme le résultat d'un désordre organique (organogenèse), l'organodynamisme de Henri Ey affirme à la fois la nature organique de la cause (une lésion ou une dysfonction de l'axe cérébral) et le caractère original, personnel et socialisé en même temps de l'expression symptomatique. Celle-ci est composée de signes déficitaires dus à la lésion locale et aussi de signes positifs liés à la libération (le dynamisme) de structures sous-jacentes normalement inhibées. Ainsi, en physiologie par exemple, le sommeil (déficit temporaire de la conscience) libère-t-il le dynamisme du rêve (pathologie de l'image, identique dans son fond à celle du délire).

Cette théorie (H. Ey et J. Rouart : « Essai d'application des principes de Jackson à une conception dynamique de la neuropsychiatrie », in L'Encéphale, 1936) prend appui sur les thèses du neurologue anglais Hughlings Jackson, qui, en 1884, inspiré par la doctrine évolutionniste de Herbert Spencer, postula que le développement du névraxe est le fait d'une structure qui se hiérarchise, allant du plus simple, du plus automatique, du mieux organisé (l'acte réflexe, par exemple) au plus complexe, au plus volontaire, au moins organisé (l'acte de conscience). Cette évolution diversifierait ainsi, dans l'appareil médullo-cérébral, une série ascendante d'instances dont chacune simultanément inhiberait l'inférieure et serait inhibée par la supérieure jusqu'à ce faîte représenté par l'écorce cérébrale, support de la conscience et des fonctions du réel.

Pour Henry Ey, la dissolution localisée de cette structure rend compte des déficits capacitaires instrumentaux qui constituent le champ propre de la neurologie, alors que celui de la psychiatrie est celui des déficits capacitaires uniformes avec libération de la personnalité involuée. Ainsi se dessine une hiérarchie de niveaux qui, du plus superficiel au plus profond, étagerait : 10 la structure névrotique ; 20 la structure paranoïaque ; 30 les états oniroïdes ; 40 les états dysesthésiques ; 50 les états maniaque et mélancolique ; 60 les états confusionnels et stuporeux ; 70 les schizophrénies ; 80 les démences.

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Une telle conception a plusieurs mérites. Elle réclame d'abord pour la psychiatrie une rigueur d'analyse et d'interprétation identique à celle qui règle la neurologie, autrement dit, elle la voue au statut d'une science expérimentale. Mais elle introduit en même temps une essentielle et bénéfique distinction de nature entre neurologie et psychiatrie, celle-ci constituant avec la pathologie interne et la pathologie externe le troisième grand domaine de la médecine, sa pathologie spécifique étant celle de la « liberté ». Enfin, et ce n'est pas le moindre, elle intègre l'interprétation psychanalytique dans une explication plus globale, où les manifestations de l'inconscient sont entendues comme expression des instances involuées de la personnalité que libère le déficit uniforme. Le point faible de cette conception avantageuse dans ses conséquences est cependant aisément perceptible, fût-ce par le profane qui ne saurait lui opposer les discordances de la clinique. L'essentiel tourne, en effet, autour de ce postulat qu'il existerait une fonction corticale chargée de rendre compte de la réalité. La présence supposée d'un tel organe du réel est contradictoire avec la longue et patiente interrogation de l'humain sur une présence au monde, dont le moins qu'on puisse dire est que c'est le peu de réalité qui l'affecte. De même, les convulsions de l'histoire semblent-elles plutôt plaider pour une fondamentale inadéquation du rapport à la réalité.

Aussi faire passer les goûts de l'honnête homme pour normes du réel invite-t-il la « liberté » du sujet à s'aliéner dans des idéaux dont il est clair que c'est leur « pathologie » qui fait imaginer l'existence d'un rapport achevé et mature avec la réalité. Autrement dit, ma représentation de la « liberté » parle essentiellement des figures de mon aliénation. Notons encore que, malgré une amitié de jeunesse avec Jacques Lacan, Henri Ey s'en est toujours tenu à l'idée que la psychanalyse était une « psychogenèse », et qu'il est resté délibérément sourd à la conception qui relève dans la psyché une structure qui, pour être celle du langage, y suppose un ordre qui, même s'il n'est pas scientifique, n'en est pas moins rigoureux.

Guidé par ces principes Henri Ey milita jusqu'au dernier instant pour faire sortir la psychiatrie de la relégation où la confine en France le consensus social. Consensus médical d'abord : le caractère hybride de la spécialité neuro-psychiatrique avait favorisé une confusion des méthodes en même temps que la mainmise des universitaires de formation neurologique sur un champ hétérogène ; Henri Ey a obtenu en 1968 la reconnaissance de la psychiatrie comme spécialité et a permis son enseignement, fût-il modeste, par ses véritables praticiens. Consensus politique ensuite : la structure administrative et financière des asiles assignait au psychiatre une responsabilité qui était avant tout celle d'un expert ; Henri Ey obtint la transformation des asiles en hôpitaux ayant un statut analogue à celui des hôpitaux généraux et parvint à ce que soit ainsi mis un terme au fonctionnariat imposé à leurs médecins. Consensus juridique encore : Henri Ey obtint l'éclatement de la structure carcérale par l'établissement du « secteur », unité géographique de soins où l'hôpital n'est que l'élément d'un équipement diversifié (dispensaires, consultations, hôpital de jour, visites à domicile, etc.) ; la variété de soins ainsi permise put rendre plus rare et mieux adaptée l'application de la loi de 1838 qui réglait juridiquement le statut de l'interné. Consensus éthique enfin : il est clair que, à l'opposé des progrès précités, l'appréhension de la folie comme « pathologie de la liberté » conforte l'opinion publique dans l'illusion d'une bonne conscience et d'une libre raison justifiées d'être ségrégatrices ; l'aliénation ne serait jamais que celle de l'autre.

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Ces diverses et importantes réformes furent obtenues en partie à l'occasion de la secousse de Mai-68 et grâce à l'appui déterminé des médecins des hôpitaux psychiatriques.

— Charles MELMAN

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Écrit par

  • : ancien médecin-chef des hôpitaux psychiatriques, psychanalyste

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  • PSYCHIATRIE

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    • 16 786 mots
    Les conceptions d'ensemble concernent surtout le champ des structures névrotiques et psychotiques. La théorie organo-dynamique de Henri Ey a tenté de fournir la vue exhaustive la plus ambitieuse et la plus complète. Elle considérait que le domaine de la psychiatrie comporte les dissolutions globales,...

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